Article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 50 (Janvier - Février - Mars 2002)
Écrit pour les Actes de la journée de L'Envol - Association pour l'accueil et l'éveil du nouveau-né « Naissances multiples - Grossesses multiples ». 19 octobre 1995. Révisé en juin 2001.
Marie Courdent – Animatrice LLL France, consultante en lactation IBCLC, puéricultrice
Face au choix de l'allaitement de jumeaux, plusieurs conditions, quand elles sont réunies, aident à la réalisation de ce projet :
La motivation : c'était le point clé pour Sylviane. « Deux bébés malades, c'est insupportable ! Je voulais tout faire pour l'éviter et j'ai donc choisi d'allaiter. Nos jumelles, arrivées en numéro 3 et 4, n'ont eu ni rhino, ni otite les six premiers mois, malgré le reflux de Florence. » Elle ajoute : « Et je n'aurais pas su comment calmer un bébé chagrin si je n'avais pas allaité. Dans ces cas-là, le papa avait une formule magique, que j'ai entendue dans d'autres familles : donne-lui donc un coup de sein. Pour moi, il n'était pas possible non plus d'envisager de bouger avec une batterie de biberons, etc. Nous sommes partis à la montagne avec les quatre enfants pendant que j'allaitais. Que de soucis en moins, car les bébés ont eu leurs tétées en voiture, au milieu des embouteillages ! Le voyage, déjà mouvementé, aurait dû être reporté sinon. Tous ces avantages ne doivent pas masquer la responsabilité écrasante qui pèse sur les épaules de la mère car, pour ce qui est de nourrir les bébés, tout dépend presque exclusivement d'elle. Mais j'ai eu l'immense satisfaction d'avoir réussi quelque chose de difficile : maman de jumeaux, une héroïne des temps modernes ! »
L'information : la meilleure façon de se préparer à allaiter est de rencontrer des mères qui allaitent. Cette recommandation est doublement valable pour une future maman qui attend des jumeaux ou plus, d'où l'intérêt de participer à des rencontres organisées par les associations de soutien à l'allaitement, dès le début de la grossesse, quand on n'est pas encore au repos forcé. Sinon, un contact téléphonique avec une animatrice permet de trouver réponse à ses questions. Il sera plus facile, après la naissance, d’appeler une animatrice que l’on connaît déjà. Des documents écrits existent aussi (cf. bibliographie). Chaque consultation prénatale, chaque visite de la sage-femme à domicile sont autant d'occasions de se préparer à allaiter. Ces informations permettront à chaque couple de choisir en toute liberté et connaissance de cause d'allaiter ses bébés.
Le soutien : du papa en premier, souvent peu préparé à ce qui lui arrive, d'où la nécessité de beaucoup échanger sur la grossesse et l'allaitement. C'est tellement précieux, un papa qui apporte un soutien complet à l'allaitement, qui ne vient pas semer le doute sur la qualité du lait mais qui dit, comme je l'ai entendu, « nous allaitons », car c'est le mode d'alimentation que lui aussi désire pour ses enfants. Soutien du personnel de maternité et du centre de néonatalogie, car le démarrage doit être « exemplaire » pour que ces bébés puissent être exclusivement allaités, si tel est le désir des parents. Soutien aussi apporté, au jour le jour en cas de besoin, par les groupes de mères.
Des bras ! Ceux du papa qui seront précieux pour porter, calmer un bébé... De l'aide matérielle pour soulager la maman des tâches domestiques, et non pour la remplacer auprès des bébés, ce que tout le monde préfère ! Sylviane explique : « Étant mieux aidée puisque nous avions eu des jumelles, comme j'allaitais, la travailleuse familiale devait s'occuper d'autres choses que des enfants : repassage au lieu de donner les biberons, ce qui, à moi, me donnait du temps pour elles, me permettait de les câliner. Grâce à l'allaitement, les retrouvailles avec les bébés sont régulières et aident à tomber amoureuse de deux bébés à la fois et de mieux les connaître. »
Dans la pratique, les règles d'or de tout allaitement sont doublement valables
Tétées précoces, dans l'heure qui suit la naissance si l'état de santé des enfants le permet, sans précipitation, après un temps de contact peau à peau pendant que la famille fait connaissance.
Tétées fréquentes : 8-10-12 tétées les premiers jours ; cela peut choquer ou paraître inacceptable, mais cela correspond à ce que font spontanément beaucoup de nouveau-nés que l'on ne limite pas. Plus la demande sera forte, plus l'offre sera élevée. Si les bébés sont endormis, la méthode « kangourou » permet à la mère de percevoir des micro-réveils propices à des tétées fréquentes. À chaque maman de trouver ce qui lui convient, à elle-même et aux bébés, parmi toutes les suggestions qui lui seront proposées.
Pas d'interférence avec le réflexe de succion : si des compléments sont nécessaires, la cuillère, la seringue, le gobelet éviteront une confusion sein-tétine. Bien sûr, certains bébés savent faire face à l’apprentissage de deux types différents de succion, mais il est impossible de savoir à la naissance si tétine ou sucette vont les perturber ou non, d’où l'intérêt d'éviter au maximum de les introduire pendant le premier mois si les parents ont choisi l'allaitement.
À ces règles de base on peut ajouter : avoir appris à allaiter les deux bébés ensemble, et savoir allaiter allongée. À chaque maman revient le choix d'allaiter soit un bébé à la fois, ce qui permet un contact individuel, un moment privilégié avec l'un puis avec l'autre, soit les deux simultanément, ce qui peut rendre service quand les deux pleurent en même temps et raccourcir d'autant la durée de la tétée.
Voici quelques idées de positions pour des tétées simultanées :
• les deux bébés en position classique avec leurs corps entrecroisés, soutenus par les cuisses de la mère ;
• un bébé en position classique, l'autre en position « ballon de rugby » (le bébé est face au sein, son corps passe sous le bras de la mère, du même côté). C'est la position la plus facile à maîtriser, surtout si les bébés ont du mal à prendre le sein ;
• les bébés « en parallèle » l'un en position classique, l'autre dans la même direction, sa tête soutenue par la main de la mère ;
• les deux bébés en position « ballon de rugby » ;
• la position en V : la mère est couchée sur le dos, les têtes des bébés au sein forment un V, avec leurs genoux touchant les flancs de la mère.
Comme vous voyez, tout ou presque est possible à condition que la mère soit confortablement installée et que les bébés puissent prendre le sein correctement. Pour les nuits ou pour des petites siestes dans la journée, allaiter couchée est particulièrement utile et d'un grand confort : si la maman est allongée sur le côté, un oreiller comblera le creux du cou, mais les épaules reposeront sur le matelas. Un second oreiller placé dans le dos décontractera la maman qui pourra s'appuyer dessus. Le bébé repose alors sur le plan du lit ou sur le bras. Couchée sur le dos, la maman peut arriver à allaiter les deux bébés à la fois. La fatigue chronique étant une des difficultés majeures des parents de jumeaux (allaités ou non), dormir en même temps que les enfants dans la journée peut être d'un grand secours. Ni le papa ni la maman ne doivent négliger les opportunités de repos.
L'alimentation de la mère est un autre point à ne pas sous-estimer, et le papa, faute de pouvoir nourrir directement ses enfants, peut nourrir sa femme. Celle-ci appréciera des petits goûters au moment des tétées, et même parfois en pleine nuit. La quantité de boissons sera suffisante tant que les urines maternelles restent bien claires.
Chaque situation étant différente, certaines mamans choisissent d'exprimer du lait à la main ou d'avoir un tire-lait à la maison, pour faire quelques réserves de lait maternel, à mettre au congélateur, pour des absences indispensables. Des tire-lait électriques à double pompage sont proposés en location. Ils permettent un gain de temps, entraînent une sécrétion de prolactine accrue, d'où une production de lait plus importante.
Sortir avec deux bébés, quand on habite au 3ème étage, même avec un ascenseur, peut se révéler épique. Penser aux porte-bébés fiables qui permettent, dans certains cas, de mettre un enfant dans un landau simple, qui passe mieux les portes, et l'autre dans le porte-bébé. Ce mode de portage n'est pas réservé exclusivement aux sorties, loin s'en faut. Dans la maison, cela peut être une aide inestimable pour calmer un bébé énervé tout en assurant le minimum vital pour que la maisonnée tourne quand même. Certains porte-bébés permettent au bébé de téter tout en étant porté, ce qui peut dépanner dans certains cas de crise.
Les journées passant à une vitesse grand V, certaines mamans choisissent, les premiers temps, de noter urines, selles, médicaments éventuels. Cela permet à la maman de vérifier que chaque enfant a eu ses 5 à 6 couches bien mouillées par 24 heures, et au moins 2 à 3 selles par jour les premières semaines. Ces critères lui permettront, en plus du gain de poids, de s'assurer que les enfants reçoivent assez de lait.
Il n'est pas recommandé, pour de multiples raisons, de réserver un sein particulier à un enfant. La plupart des mamans proposent les deux seins à chaque enfant, à chaque tétée, au moins dans les débuts de l'allaitement. Le deuxième bébé commence sa tétée au sein que le premier vient de quitter, un deuxième réflexe d'éjection du lait se produit alors. Une fois la lactation bien établie, les bébés auront peut-être trop de lait avec les deux seins à chaque tétée. Dans ce cas, on peut donner par exemple le sein gauche à Florence et le sein droit à Emmanuelle, inverser le lendemain, et ainsi de suite. Ainsi les deux bébés stimulent chaque sein sans qu'on ait à se rappeler qui a commencé et par quel sein. La maman a besoin d'être encouragée pour trouver ce qui marche le mieux pour elle et pour ses bébés.
En allaitement, rien n'est jamais figé, il y aura des jours de pointe où la maman aura l'impression de ne faire que cela, les bébés prenant les deux seins à chaque tétée et augmentant transitoirement la fréquence des tétées pour que la production maternelle suive l'augmentation de leur appétit. Ces jours-là, il est bon de se souvenir que plus les bébés tètent, plus il y aura de lait. Et rien ne vaut alors un petit coup de téléphone pour trouver, auprès d'une personne compétente, soutien, encouragement et réassurance que ces journées non-stop n'auront qu'un temps.
Avoir un bébé, quel beau cadeau ! Même quand il est livré en deux ou trois exemplaires, ce n'est pas évident tous les jours ! « J'ai choisi d'allaiter, nous dit Sylviane, car c'était ce qui était le plus facile. »
Le témoignage de Marion.
Bibliographie
• Jumeaux : Allaitement et maternage. K.K.Gromada.LLLI.
• L’allaitement des jumeaux. Allaiter aujourd’hui n° 45. 2000.
• L'Art de l'Allaitement Maternel. LLLI.
• Guide de l'Allaitement et du sevrage. P. Walter. Ed Syros. 1995.
• Breastfeeding and Human Lactation. J Riordan, K Auerbach. Ed Jones and Barlett. 1999, p. 326-28.
• Breastfeeding : a guide for the medical profession. R A Lawrence. Ed Mosby. 1994, p. 433.
• Traité de l’Allaitement Maternel. N Mohrbacher, J Stock. LLLI. 1999, p. 354-64.
Merci, j'ajouterais juste dans les solutions de portage : écharpe devant et porte bébé physiologique derrière quand on a besoin de plus de bras.
Ça me semblait lourd comme dispositif à priori, mais à l'usage moins fatigant pour le dos que de porter un seul bébé comme le poids est mieux réparti.
Et quand on est fatiguée des pleurs et que la tétée ne fonctionne plus, même pas besoin de marcher pour apaiser, il suffit de se bercer sur un gros ballon.
Bises et courage à toutes!
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