Allaiter des jumeaux prématurés
Émilie (allaiter des jumeaux)
Cet allaitement s'est déroulé sans aucun problème, j'avais beaucoup de connaissances sur l'allaitement, et je fréquentais les réunions LLL avant même ma grossesse. On m'avait proposé d'effectuer la formation pour devenir animatrice, mais je n'avais rencontré aucun problème d'allaitement autrement que dans la théorie, je ne me sentais donc pas totalement "apte" à aider d'autres mamans autrement que théoriquement !
Lorsque, 9 ans plus tard, j'ai appris que j'attendais des jumeaux, j'ai eu beaucoup de mal à encaisser. J'ai immédiatement remis en question tous mes principes de maternage, je ne voulais plus porter, plus allaiter, plus rien faire. Puis, l'idée à fini par faire son chemin en moi, et je trouvais injuste de ne pas offrir aux jumeaux la même chance qu'avait eu leur grand frère.
La grossesse et l'accouchement ont fini par m'échapper totalement pour des raisons médicales. Un grossesse alitée, et un accouchement prévu par césarienne, j'étais bien loin de la grossesse de rêve et de l'accouchement à domicile vécus avec l'aîné ! Il ne me restait donc que l'allaitement sur lequel j'avais encore réellement prise, pour lequel cela allait être uniquement de MON choix.
Durant la grossesse, je me suis rapprochée de mères de jumeaux qui avaient allaité avec succès leurs enfants. De celles qui pouvaient comprendre comment cette volonté d'allaitement était importante pour moi, et qui ne me dirait pas "mais passe donc au biberon !" si j'allais aller pleurer mes difficultés chez elles...
J'avais aussi fait mention de ma volonté d'allaiter dans mon projet de naissance, et j'avais prévu un DAL et une Softcup dans ma valise de maternité.
La grossesse s'est compliquée, ma fille était très petite, il était question qu'elle aille en unité de réanimation néonatale. Je devais donc me préparer à avoir mes enfants à deux endroits différents...
Les jumeaux sont nés à 35+5 SA, finalement par voie basse, en raison d'un accouchement trop rapide. Ma petite princesse avait la pêche malgré son tout petit poids, cependant elle nécessitait tout de même une surveillance en unité de médecine néonatale. Elle a été montée rapidement et n'a donc pas pu goûter au bonheur du sein en salle de naissance.
Son frère, un peu plus gros, aurait dû rester avec moi. Il a pu faire une tétée en salle de naissance, mais en raison d'une hypoglycémie sévère, il a été complémenté en salle de naissance, au doigt-seringue, puis est monté rejoindre sa sœur pour être également surveillé.
Lorsque j'ai pu monter les voir, j'ai été très impressionnée par leur petite taille, et je ne savais pas trop ce que nous avions le "droit" de faire ou pas avec eux, car le personnel ne nous disait rien, il fallait demander. J'ai donc demandé à faire des essais de mise au sein, mais les bébés se fatigaient très vite, et j'ai rapidement compris qu'il faudrait jongler entre la nécessité de maintenir le réflexe de succion, et éviter de les fatiguer trop et devoir leur poser une sonde naso-gastrique pour les nourrir.
Lorsque j'ai voulu tirer mon lait le soir, la maternité n'avait que des vieux tire-lait que je savais douloureux à me proposer. Ma sœur m'a donc prêté son double-pompage électrique le temps d'avoir une prescription correcte et d'aller à la pharmacie. Mais le lait ne venait pas, je tirais deux gouttes, que je n'osais pas monter à mes bébés, tant cela me semblait ridicule (malgré l'encouragement des infirmières qui s'occupaient d'eux). J'avais sans doute aussi le secret espoir qu'ils tètent vite et bien au sein, démarrer une lactation au tire-lait n'était pas vraiment dans mes projets !
Le lendemain, je demande une mise au sein de ma fille (que j'avais "épargnée" le premier jour, la pensant trop fatiguée pour téter). On me l'accorde, à condition d'effectuer une pesée avant-après. Je sens ma fille téter, mais à la pesée d'après, elle montre une diminution du poids. Pourtant, elle avait pris du colostrum puisqu'elle en a régurgité quelques minutes après, mais les prématurés dépensent beaucoup d’énergie à se réchauffer....
Je demande une place en unité Kangourou, pour pouvoir gérer plus facilement cet allaitement ; même à deux étages de différence, l'éloignement des bébés est dur et décourageant.
Entre-temps, les bébés passent sous les lampes à UV en raison de leur ictère, et ma fille doit subir la pose d'une sonde naso-gastrique, car elle se fatigue trop vite...
Le surlendemain, un dimanche soir, mon conjoint retourne sur Paris pour sa semaine de travail. Je pleure dans ma chambre devant ces seins qui ne donnent pas de lait. La sage-femme de garde passe et discute avec moi. Je lui confie mon désarroi face à cette naissance trop rapide et violente, durant laquelle je n'ai pas senti passer mes bébés en raison d'une très forte anesthésie, dont je n'ose me "plaindre", car j'ai échappé à une césarienne. Je lui parle de ce lait qui ne vient pas, cet allaitement auquel je tiens tant.
Elle me rappelle alors les notions de base de la lactation, la stimulation d'une tétée qui prépare la suivante... Elle me parle de la sage-femme qui m'a accompagnée pour la naissance à domicile du grand, avec qui elle a étudié, elle me dit qu'elle serait fière de moi. Elle me dit que même si je n'ai pas senti leur passage, ma relation de maternité a un départ, le moment où j'ai eu cette sensation tactile avec eux, posés sur ma poitrine, même pour quelques secondes.
Voilà, j'ai reconnecté les maillons de ma chaîne, je suis la maman de ces enfants, et immédiatement, le lait se met à couler, 10 ml !
Le lendemain, lundi, j'apprends qu'une place en unité kangourou nous attend dans un autre hôpital. Je me souviens encore avoir emporté avec moi, dans l'ambulance, mon petit pot de lait, 10 ou 20 ml, si précieux à mes yeux !
Nous arrivons à l'unité kangourou, dans une chambre spacieuse, dans laquelle j'ai mes bébés avec moi. L'équipe du nouvel hôpital décide de retirer la sonde de ma fille. Quant à moi, je vais m'armer pour la bataille à la pharmacie du coin. Un bon tire-lait loué à mon nom, des gélules de fenugrec et des vitamines pour booster le démarrage.
Le soir-même, je tire 150 ml en quelques minutes ! Toutes les 3 heures, une puéricultrice débarque dans la chambre, prend un des bébés pour lui donner son repas au doigt-seringue, pendant que je tente la mise au sein de l'autre bébé. Je leur signifie rapidement que je ne peux pas accepter de prendre un tel rythme, que je veux me concentrer à tout faire seule, comme je le serai une fois à la maison.
Au fil des jours, j'arrive à tirer mon lait, tenter des mises au sein, parfois double, donner les compléments au doigt-seringue, ainsi que gérer tout le reste, habillement, couches, pesées, toute seule. L'équipe me laisse presque toute la journée "seule" à gérer mes bébés, ce qui me convient parfaitement.
Seulement, la méthode du doigt-seringue s'avère longue, parfois 40 minutes par enfant. Je ne peux m'occuper que d'un seul bébé à la fois, et je commence à me languir du moment où ils vont se réveiller (le prématuré ne fait que dormir, il faut le réveiller pour manger, c'est très perturbant).
L'équipe propose le biberon, mais sans insister. Je propose d'autres méthodes, le DAL par exemple, qui ne nous aidera pas vraiment puisque téter les fatigue encore beaucoup. De plus, j'ai un REF, ce qui fait qu'ils n'arrivent pas à garder le sein en bouche, car à peine effleuré par leurs bouches, c'est la fontaine.
La Softcup ne convient pas non plus, c'est moins pratique et tout aussi long que le doigt-seringue auquel je me suis vite habituée. Je sens que la possibilité d'une sortie est proche, il ne manque que l'autonomie pour gérer l'alimentation. Je consens donc à accepter le biberon, sachant parfaitement les risques, et prête à devoir gérer une confusion sein-tétine.
Bien sûr, mon garçon fait la confusion. Je tente de rétablir les choses en lui donnant 10 ml au biberon, puis en lui faisant prendre le sein, insistant jusqu'à ce qu'il le prenne simplement en bouche, puis re-10 ml au biberon, puis re-tentative de sein, etc. Cette rééducation semble fonctionner.
La veille de ma sortie, je discute avec des amies d'un groupe d'allaitement sur internet. L'une d'elles me parle du bout de sein en silicone auquel je n'avais tout simplement pas pensé, puisque je connais bien les problèmes que provoque son usage. Il se trouve que c'est cela qui a pu lancer mon allaitement. Les bébés arrivent à garder le sein en bouche, ça ne glisse plus, et ils sont tellement repus qu'ils refusent le complément donné ensuite !
Je rentre donc à la maison, en HAD (une sage-femme viendra peser mes enfants jusqu'à ce que ma fille atteigne 2,5 kg), heureuse, mais pas encore victorieuse...
J'ai alors un très bon rythme de tirage : en 15 jours à l'unité Kangourou, j'ai laissé 2 litres de surplus de lait au lactarium. Malheureusement, me croyant définitivement lancée par les bouts de sein, j'arrête de tirer mon lait, ce qui provoque une baisse de lactation !
À la maison, je jongle à nouveau entre les tétées à nu ou avec DAL et/ou bouts de sein, les biberons, dont nous dépendons toujours puisque les mises au sein sont difficiles et fatigantes, et que j'ai besoin de me reposer, le tire-lait (qui commence à me peser), les sorties (pour m'aérer après un mois enfermée dans les hôpitaux).
J'attends toujours le moment où je pourrai tout bazarder et les nourrir uniquement à la source ! Je réussis à me défaire rapidement des bouts de sein, je savais qu'il fallait éviter qu'ils ne s'y habituent trop. Leur "terme" approche, et je les sens de plus en plus mûrs. Ils se réveillent spontanément, leurs périodes d'éveil s'allongent, je les sens plus vigoureux. Ma fille a alors dépassé les 2,5 kg et je ne suis plus suivie que par une pédiatre.
Un matin, je décide de tenter la suppression des biberons. Je nomme ma technique "tète ou crève" (façon "marche ou crève"), et je ne prévois rien durant quelques jours, pour pouvoir être disponible à 100 % pour des tétées très fréquentes, ainsi qu'une pesée journalière pour être sûre. Et... ça passe ! Nous voilà lancés ! Quel soulagement d'être libérés, de ne plus avoir les contraintes du biberon, lavage, tirage, chauffage. Quel bonheur de juste lever son t-shirt et de regarder ses enfants avaler ce bon lait chaud !
L'étape suivante a consisté à tenter de décaler leurs prises, je n'aime pas les doubles tétées, je leur assigne alors chacun un sein, et je fais généralement téter ma fille en premier, car elle ne tète que pour s'alimenter, alors que son frère a un gros besoin de succion.
Le répit n'est que de courte durée. La visite suivante chez le pédiatre montre que mon fils ne prend pas assez de poids. La pédiatre souhaite que je le complémente, sans pour autant stopper l'allaitement. Je l'informe que je complémenterai uniquement au DAL ou au boberon Calma, et elle trouve cette proposition tout à fait adaptée. Une fois à la maison, je tire mon lait (avec regret) pour mon fils, et remarque que le sein de mon fils donne deux fois moins que celui de ma fille ! Assurément il ne tète pas bien, et ça s'est répercuté sur la lactation. Voilà les restes de la confusion sein-tétine : même s'il a repris le sein en bouche, il ne sait plus téter efficacement...
À nouveau, je me tourne vers mes amies du groupe d'allaitement, en leur confiant ma non-volonté de compléter mon fils. Elles me conseillent alors de remettre les deux enfants au sein ensemble, de sorte que la stimulation soit meilleure, et d'alterner les seins. Ainsi, ma fille "travaille" pour son frère, et en quelques semaines, il récupère une succion efficace.
Aujourd'hui, les jumeaux ont 13 mois. Ils sont bien sûr toujours allaités, la plupart du temps ensemble (finalement, maman s'est habituée !) pour notre plus grand bonheur à tous les trois.
Malgré leur prématurité, ils n'ont eu que deux rhino-pharyngites durant cette première année !
L'allaitement de jumeaux est parfois difficile à mettre en place, les mamans se heurtent à leur entourage peu encourageant, et à des équipes médicales parfois peu ou mal formées à l'allaitement de jumeaux. C'est pourquoi aujourd'hui j'ai à cœur d'aider les mamans de jumeaux dans leur projet d'allaitement, car malgré les difficultés parfois présentes au démarrage, l'allaitement de jumeaux a des avantages certains, financiers, logistiques, ou relationnel (ça ne coûte rien, nous pouvons combler nos deux bébés en même temps, les pleurs sont réduits, et le poids du sac à langer aussi !).
Maman de jumelles depuis 3 semaines, je me retrouve patraitement dans tout ce que vous racontez. Mis à part que j'ai été tout de suite en unité kangourou.
Les 3 gouttes de colostrum, les précieux 10 mL que l'on garde comme un trésor (je rajouterai les pleurs lorsque j'ai fait tombée la petite cuillère presque remplie...), l'envie d'être 100% autonome à la mater, la nécessité des bouts de sein.
Le biberon calma qui me sauve lorsque j'ai besoin de dormir et que papa gère !
Je reprends le travail dans 2 semaines, les filles seront avec moi. En ce moment, l'allaitement c'est du temps complet alors je doute savoir tenir le rythme une fois le boulot repris mais je suis fière d'avoir déjà fait un mois exclusif avec des juju. Je n'arrive pas à tirer assez de lait pour faire des réserves... On verra dans les prochaines semaines !
Bonjour. J'ai lu votre témoignage avec beaucoup d'attention étant moi même maman de jumeaux fille garçon je me retrouve beaucoup dans ce que vous avez vécu. Mes jumeaux ont 3 mois 1/2 je les allaites exclusivement et j'espère pouvoir les allaités aussi longtemps que vous l'avez fait pour vos jumeaux. Merci beaucoup pour ce témoignage
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