Article paru dans les Dossiers de l'Allaitement n° 76 (Juillet – Août – Septembre 2008)
Avec l’augmentation de la prévalence et de la durée de l’allaitement, la probabilité qu’une mère allaitante soit hos pitalisée augmente également. Le point de vue et les convic tions de l’équipe soignante sur l’allaitement, ainsi que les règlements hospitaliers, pourront interférer avec la poursuite de l’allaitement en cas d’hospitalisation d’une mère allai tante, et induire un sevrage précoce, ou une intro duction de suppléments de lait industriel non souhaitée par la mère. Or, dans la plupart des cas, une mère hospitalisée peut poursui vre l’allaitement, et tout devrait être fait pour cela, étant donné les nombreux bénéfices de l’allaitement pour la santé infantile et maternelle. L’Académie Américaine de Pédiatrie, dans un document publié en 2005 sur l’allaitement et l’utilisation du lait humain, dit que : « Si l’hospitalisation d’une mère allaitante ou de son enfant s’avère nécessaire, tout devrait être fait pour maintenir l’allaitement, de préfé rence directement au sein, ou à défaut en tirant le lait pour le donner au bébé. » En conséquence, les membres des équipes soignantes devraient avoir les connaissances nécessaires sur l’allaitement, l’expression et le stockage du lait maternel, ainsi que sur la prise de médicaments pendant l’allaitement.
La situation sera différente selon que la mère est hospita lisée en urgence, ou que l’hospitalisation est planifiée long temps à l’avance. Dans ce dernier cas, la mère aura le temps de se renseigner sur les conditions de son hospitalisation, de dis cuter avec l’équipe des modalités de la poursuite de l’allaitement, de faire des stocks de lait qui pourront être donnés au bébé pendant l’hospitalisation, et de planifier l’hospitalisation pour qu’elle interfère le moins possible avec l’allaitement. En cas d’hospitalisation en urgence, la mère devra faire face à des conditions qu’elle n’aura pas choisies, qui pourront éventuellement être très défavorables à la pour suite de l’allaitement. Elle pourra de plus être tellement stressée par ce qu’elle vit qu’elle n’arrivera même pas à tirer son lait à l’hôpital. Elle pourra éventuellement être trop malade pour ce faire, et un soutien actif devra alors être mis en œuvre.
L’anxiété et le stress liés à la séparation de la mère et de son enfant doivent impérativement être pris en compte. Si l’enfant ne tète pas et que la mère ne tire pas son lait, ou n’arrive pas à le tirer par manque d’expérience ou en raison du stress ou de la douleur, elle pourra présenter un engorge ment avec tous les inconvénients que cela implique. Le meilleur choix est d’admettre l’enfant allaité avec sa mère. Dans certains cas, la présence d’un autre adulte sera néces saire auprès de la mère afin de l’aider à s’occuper de son enfant. Le second choix est que l’enfant puisse être apporté régulièrement à la mère pour les mises au sein. Faire en sorte que la mère puisse tirer son lait pour qu’il soit donné à son enfant est le 3ème choix.
Lorsqu’une mère présente un problème pour lequel une hospitalisation (et éventuellement une chirurgie) est prévisible, divers points pourront être discutés :
- L’hospitalisation est-elle réellement indispensable pour le traitement du problème ? Plusieurs avis ont-ils été deman dés à ce sujet ?
- Si une intervention chirurgicale doit être pratiquée, peut-elle être effectuée en ambulatoire ? Peut-elle être faite sous anesthésie locale ?
- L’hospitalisation peut-elle être retardée jusqu’au moment où le bébé sera plus âgé ? La situation sera plus facile à gérer s’il n’est plus exclusivement allaité.
- La mère peut-elle arriver à jeun le matin de l’opération, et non la veille ?
- Une sortie rapide du service sera-t-elle possible, avec poursuite des soins au domicile ou en ambulatoire ?
Hospitalisation programmée ou en urgence ?
Dans ce contexte, la mère pourra se renseigner auprès des services hospitaliers locaux, afin de savoir s’ils ont un rè glement qui prend en compte l’allaitement. Certains servi ces acceptent que le bébé allaité soit admis avec sa mère. Si cette possibilité est refusée à la mère, elle pourra demander que son bébé puisse lui être amené régulièrement pour les tétées. La mère ne devra pas hésiter à insister : les visites des jeunes enfants sont refusées dans de nombreux services pour « risques de contamination ». Toutefois, l’allaitement est le meilleur moyen de protéger le bébé vis-à-vis de nombreuses maladies infectieuses. La mère fabrique et excrète dans son lait des anticorps dirigés contre les germes auxquels elle est exposée, qui protègeront son enfant. Le risque pourra encore être limité si la mère se lave soigneusement les mains avant de prendre son bébé, et si elle limite les contacts de ce der nier avec l’équipe soignante.
Le fait d’expliquer la situation pourra rendre les responsables du service plus ouverts aux souhaits de la mère. Celle-ci pourra demander :
- S’il existe une pièce ou un quelconque endroit (salle d’attente…) où on pourra lui amener son bébé, à défaut de pouvoir l’avoir avec elle dans sa chambre.
- Avec quelle fréquence elle pourra recevoir des visites, et avec quelles contraintes horaires.
Si la mère n’est pas hospitalisée avec son bébé, il est plus que probable qu’un certain nombre de tétées seront « sautées ». En pareil cas, la mère devra prévoir de tirer son lait pour éviter les engorgements, et pour entretenir sa lactation. Ne pas hésiter à demander si l’hôpital peut lui fournir un tire-lait électrique automatique. Si ce n’est pas possible, ou en cas de doute, la mère devra prévoir d’apporter elle-même un tire-lait. Elle devra savoir que l’expression du lait risque d’être difficile si elle n’a pas l’habitude de tirer son lait, surtout si elle est stressée, qu’elle a mal, ou qu’elle est trop faible pour arriver à tirer son lait. Si cette dernière pos sibilité est à prévoir, la mère devrait se renseigner sur l’aide dont elle pourra bénéficier : est-ce qu’un membre de l’équipe soignante, ou un membre de sa famille, pourra l’aider à tirer son lait ?
Si l’hospitalisation est programmée plusieurs semaines ou mois à l’avance, la mère aura également le temps de tirer son lait et de le stocker au congélateur, afin qu’il puisse être donné à son bébé pendant son hospitalisation, si possible autrement qu’au biberon (DAL au doigt, seringue, gobelet…). Si le bébé a plus de 4 à 6 mois, il sera également possible de lui donner des solides.
Aider la mère à poursuivre l’allaitement
Pour faciliter la poursuite de l’allaitement, l’équipe soi gnante peut :
- Encourager activement la mère à poursuivre l’allaitement ; lui permettre d’avoir son bébé avec elle dans toute la mesure du possible ; encourager un membre de la famille à rester avec la mère pour l’aider à s’occuper de son bébé ;
- Encourager la mère à se reposer, à manger et à boire suffisamment ;
- Veiller à ce qu’elle puisse avoir suffisamment d’intimité (chambre individuelle, paravent) ;
- En cas de chirurgie abdominale, aider la mère à trouver une position d’allaitement aussi confortable que possible ;
- Veiller à ce que la mère ait une analgésie post-chirurgicale de bonne qualité ; l’allaitement n’est pas incompatible avec une analgésie efficace, et la souffrance inhibe le réflexe d’éjection ;
- Rassurer la mère sur le fait que les examens et les traite ments qui lui sont prescrits seront choisis pour être compatibles avec l’allaitement dans toute la mesure du possible ;
- Limiter les contacts de l’équipe soignante avec l’enfant, et assurer à la mère que la poursuite de l’allaitement représente le meilleur moyen d’éviter la contamination de l’enfant par un germe infectieux.
Le traitement médical
Les mères qui subissent une intervention chirurgicale peu vent reprendre l’allaitement dès qu’elles sont réveillées dans la quasi totalité des cas. Presque tous les anesthésiques sont utilisés de façon ponctuelle, et leur taux lacté est abso lument infime. L’âge et l’état clinique de l’enfant seront pris en compte si nécessaire. On pourra recommander à la mère qui doit se faire opérer de :
- Mettre son bébé au sein ou tirer son lait juste avant qu’on l’endorme, afin de limiter le risque d’engorgement ;
- Se faire aider pour remettre son bébé au sein dès qu’elle est réveillée ;
Après une chirurgie mammaire, les mises au sein peuvent habituellement être reprises dans les 12 heures, en fonction du niveau de confort de la mère. Si l’incision se trouve dans une zone où le bébé doit poser sa bouche pour téter, il sera préférable de tirer le lait du côté concerné, l’enfant pouvant prendre l’autre sein. Très peu de situations nécessitent réel lement de tirer le lait et de le jeter ; la survenue d’une mas tite ou d’une autre patho logie infectieuse ne nécessite PAS de sevrer l’enfant ou de jeter le lait.
Les produits de contraste utilisés pour les radiographies, les scanners ou l’IRM sont compatibles avec l’allaitement. La plupart des médicaments passent dans le lait, mais leur taux y est faible dans la majorité des cas. Dans de rares cir cons tances, le taux lacté de médicament sera susceptible d’induire chez l’enfant un taux sérique susceptible d’avoir un impact. De nombreux antalgiques sont compatibles avec l’allaitement, comme par exemple le pa racétamol, la codéine, le fentalyl, l’ibuprofène, le kétorolac, la mépéridine, la méthadone, la morphine, le naproxène le sécobarbital… La plupart des antibiotiques sont utilisables pendant l’allaitement.
Il est important que les prescripteurs sachent que la mère allaite, et veillent à choisir en conséquence le traitement qui sera prescrit à la mère. Il est utile de savoir que les notices de la plupart des produits déconseillent ou contre-indiquent le produit pendant l’allaitement en routine, mais que cela est rarement fondé sur des données scientifiques. Pour obtenir des données fiables sur les médicaments utilisables pendant l’allaitement, il est nécessaire de consulter des publications spécialisées (Medications and Mothers’ Milk, de Thomas Hale, par exemple). Il est également nécessaire de prendre en compte l’impact éventuel du traitement sur la production lactée ou les hormones de l’allaitement. Afin de minimiser l’exposition de l’enfant au traitement maternel, l’équipe soignante pourra :
- Veiller à ce que tous les membres de l’équipe soignante soient avertis du souhait de la mère de poursuivre l’allaitement ;
- Conseiller à la mère de prendre le médicament juste après une tétée pour que le taux lacté ait le temps de baisser avant la tétée suivante ;
- Soutenir la mère qui doit tirer son lait afin de maintenir sa production lactée, et d’éviter les engorgements et les mastites ; un sevrage brutal devrait être évité dans toute la mesure du possible, en raison des complications qu’il peut induire ; procurer à la mère un tire-lait électrique d’un modèle hospitalier, et l’informer sur la pratique correcte de l’expression du lait.
- Le lait tiré par la mère devra être conservé au réfrigérateur ou dans une glacière dans la chambre de la mère.
Le lait humain frais peut être conservé pendant 4 heures à 26°C, pendant 24 heures à 15°C, pendant 8 jours entre 0 et 4°C, ou pendant 12 mois dans un congélateur à –20°C. Le lait maternel qui a été décongelé mais non réchauffé peut être gardé à température ambiante pendant 4 heures, ou au réfrigérateur pendant 24 heures, et il ne doit pas être re congelé (Jones & Tully). Du lait décongelé qui a été réchauffé peut être gardé à température ambiante ou réfrigéré pendant 4 heures.
Les modifications de la pratique d’allaitement liées à l’hospitalisation peuvent provoquer un engorgement, une mastite, ou un problème de canal lactifère bouché, ces com plications nécessitant un traitement adapté : mises au sein fréquentes ou expression régulière du lait, massages du sein, anti-inflammatoires et analgésiques, antibiothérapie si néces saire. Dans tous les cas, la poursuite de l’allaitement avec le sein touché est recommandée.
En conclusion
Le fait de devoir être hospitalisée et éventuellement de subir une chirurgie représente un stress majeur pour la mère allai tante, qui va s’inquiéter pour son bébé. Mais une hospi tali sation ou une chirurgie ne devraient pas avoir pour consé quence un sevrage précoce ou le don de suppléments. Avec un soutien approprié de la part de l’équipe soignante, la plupart des mères pourront poursuivre l’allaitement, ce qui présentera de nombreux avantages tant pour la mère que pour son enfant.
Références
American Academy of Family Physicians, 2001. American Academy of Family Physicians policy and position statement on breastfeeding. Leawood, KS, Author.
American Academy of Pediatrics (AAP), Committee on Drugs. (2001). The transfer of drugs and other chemicals into human milk. Pediatrics 2001 ; 108 : 776-789.
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Department of Health and Human Services (DHHS), Office on Women's Health. (2000). HHS blueprint for action on breastfee ding. Washington, DC, Author.
Garner LM, Morton J, Lawrence RA, et al. Breastfeeding and the use of human milk. Pediatrics 2005 ; 115(2) : 496-506.
Hale TW. Medications and mother's milk. Amarillo, TX: Hale Publishing, 2006.
Hale TW & Berens P. Clinical therapy in breastfeeding pa tients. Amarillo, TX: Pharmasoft Medical Publishing, 2002.
Jones F, & Tully MR. Best practice for expressing, storing, and handling human milk in hospitals, homes, and child care settings. Raleigh, NC : Human Milk Banking Association of North America, Inc, 2006.
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Lawrence RA. A review of the medical benefits and contraindica tions to breastfeeding in the United States (Maternal and Child Health Technical Information Bulletin). Arlington, VA: National Center for Education in Maternal and Child Health, 1997.
Riordan J. Breastfeeding and human lactation. Sudbury, MA: Jones and Bartlett Publishers, 2005.
Ting P. Breastfeeding and anesthesia. Anesthesiology Info, 2001, July. Retrieved February 9, 2007.
www.anesthesiologyinfo.com/articles/01052002.php
Wenner L. Care of the breastfeeding mother in medical-surgi cal areas. Medsurg Nurs 2007 ; 16(2) : 101-4.
Voir ici : https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/textes-de-l-academy-of-breastfeeding-medicine/1084-15-analgesie-et-anesthesie-chez-la-mere-allaitante
Important : "Les mères d’un nouveau-né à terme, ou d’un bébé plus âgé, peuvent habituellement reprendre l’allaitement dès qu’elles sont réveillées, stables, avec un bon niveau de vigilance."
Bonjour,
J'ai une petite fille de 8 mois que j'allaite encore, il lui reste 2 à 3 tétées sur 24h. Je dois me faire opérer le 7 octobre, une résection tubaire sous anesthésie générale... Je pourrais faire une tétée avant l'opération.. Combien de temps dois-je attendre avant de refaire téter ma fille ? Dois-je tirer mon lait pour continuer à produire ?
Merci pour votre réponse
Votre question n'est pas claire. Si vous vous demandez si vous pourrez allaiter alors que vous avez été opérée près de votre sein droit, a priori il n'y a pas de raison que vous ne puissiez pas.
45 minutes, c'est la durée de l'opération ? La durée de l'opération n'a rien à faire pour ça.
J'ai été opéré à côté du seindoit pendant 45min je peux encore allaiter ???
Après une anesthésie générale, on peut allaiter dès qu'on se sent assez réveillée pour le faire. Comme après une césarienne sous anesthésie générale.
Pour ce qui est des antibiotiques, la très grosse majorité d'entre eux sont compatibles avec l'allaitement, A vérifier sur le site du CRAT, lecrat.fr
Bonjour,
Je dois subir une operation pour enlever la vesicule biliaire. Celle-ci se deroulera en ambulatoire et sous anesthesie general.
Mon bebe a 42 jours et il est en allaitement exclusif et je voudrais continuer a l'allaiter encore longtemps.
Est il possible d'allaiter mon bebe juste apres le reveil ou faut-il attendre 3 jours pour evacuer le produit de l'anesthesie comme le preconise le corps medical? Ce produit passe-t-il dans le lait? et les antibiotiques?
Avez-vous des infos la dessus? Que me conseillez-vous?
Je vous remercie par avance
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