Article initialement paru dans le n° 127 des Dossiers de l'allaitement, retravaillé et complété à partir de l'expérience de mères ayant contacté LLL France, avril 2020.
Un engorgement qui concerne tout un sein lactant, ou une zone spécifique du sein, un canal lactifère qui se bouche et bloque l’éjection du lait dans une zone localisée du sein doivent se régler en 24 à 48 heures maximum. Au-delà de ce délai, si la mère n’a pas eu les informations pour résoudre l’engorgement/déboucher le canal lactifère et évacuer le lait bloqué (tétées fréquentes, en donnant priorité au sein douloureux sans oublier l’autre sein, environ toutes les deux heures le jour et toutes les quatre heures la nuit – repos – massages vers le mamelon quand le lait s’écoule – varier les positions du bébé au sein, menton en direction de la zone douloureuse, tirage du lait au tire-lait ou à la main en plus des sessions d’allaitement si la maman en ressent le besoin – anti-inflammatoires locaux) ou si ce qu’elle a mis en place n’a pas été efficace, la situation devient très vite préoccupante, et l’on peut craindre l’évolution vers une mastite et/ou un abcès.
En conséquence :
• Un engorgement localisé, un canal lactifère qui se bouche et provoque un blocage de l’évacuation du lait qui ne s’améliorent pas franchement, ou qui récidivent dans la même zone, demandent une évaluation clinique et échographique soigneuse et rapide.
• Un engorgement qui se complique d’une mastite doit lui aussi, avec la prise en charge expliquée dans le premier paragraphe, s’améliorer rapidement en 24 heures. Toute récidive au même endroit peut être le signe de la constitution d’un abcès.
• Une mastite qui, malgré la prise en charge précisée dans le premier paragraphe, ne s’améliore pas en 24-48 heures nécessite un avis médical pour examen clinique, mise sous antibiotiques éventuelle et surveillance échographique.
Les facteurs de risques sont :
• des blessures à type de crevasses,
• une naissance dans les 10-12 jours précédents (risque d’infection nosocomiale avec un germe hospitalier),
• une atteinte concomitante des deux seins,
• un contexte de DID (Diabète Insulino Dépendant), d’anémie importante,
• une incapacité à vider les seins (que cela soit par le bébé ou le tire-lait).
Traitement de la mastite
L’allaitement aux deux seins sera poursuivi sans risque pour l’enfant (ou l’utilisation répétée du tire-lait). Le sevrage expose à un risque majeur d’abcès. Si la mère souhaite sevrer, elle pourra le faire quand la situation sera derrière elle, et de façon très progressive.
La prise de paracétamol peut soulager la douleur et faciliter l’éjection du lait par une mère plus détendue, mais peut temporairement masquer les signes d’aggravation. Les mères qui en utilisent devraient rester attentives à leurs sensations et espacer suffisamment les prises pour sentir l’évolution de la situation (amélioration/détérioration).
La prise d’AINS tels que l’ibuprofène doit être évitée en première intention, les études scientifiques les plus récentes montrant que les AINS peuvent faire flamber les inflammations. L’application d’anti-inflammatoires locaux à type d’applications froides (accumulateur de froid souple), de feuilles de chou blanc cru ou d’argile verte peut apporter un soulagement.
Une antibiothérapie devrait être débutée pour toute situation d’engorgement total ou partiel ou canal lactifère bouché ou mastite qui ne s’améliore pas en 24 à 48 heures. Le germe le plus souvent en cause dans les mastites infectieuses est un Staphylocoque doré résistant à la pénicilline (OMS). On peut aussi rencontrer, moins souvent, un streptocoque ou un Escherichia coli. La pyostacine semble être l’antibiotique de choix pour éviter une évolution vers l’abcès.
Il n’est pas nécessaire de réaliser un antibiogramme du lait maternel a priori. Néanmoins, si les signes cliniques persistent 48 heures après la mise en place d’une antibiothérapie à large spectre, l’OMS préconise de réaliser un antibiogramme pour vérifier que l’antibiotique correspond bien au germe. L’antibiogramme sera réalisé sur du lait exprimé à la main dans un flacon stérile, le lait de début de tétée ne sera pas recueilli en raison de la possible contamination par la flore cutanée.
Prise en charge de l’abcès
Un abcès peut se constituer sans qu’il y ait de fièvre ou après l’apyrexie de la mastite. L’absence d’hyperthermie n’est pas un critère pour réfuter un abcès. La douleur persistante, éventuellement croissante, alliée à l’apparition éventuelle de signes locaux à type de masse, tuméfaction, rougeur, chaleur... est un signe de gravité et doit faire évoquer la constitution d’un abcès même sans fièvre. Au XXIe siècle le signe de Budin (mise en évidence de pus sur la compresse à l’expression manuelle de lait) ne fait plus partie des moyens utilisés pour diagnostiquer un abcès. En effet si l’abcès est enkysté, rien ne sortira par les pores correspondants. De plus des globules graisseux qui surnagent sur la compresse sont souvent pris à tort pour du pus, ce qui rend non fiable le signe de Budin.
Il peut donc y avoir abcès du sein sans fièvre, avec un écoulement de lait clair, sans signes locaux d’inflammation visibles, sans adénopathie, l’abcès étant envisagé uniquement sur la douleur ressentie par la maman et le résultat de la palpation.
Le diagnostic d’abcès est échographique. Les échographies doivent être précoces, effectuées au moindre doute, et répétées en fonction de l’évolution de la douleur et des signes cliniques. L’allaitement n’empêche pas la réalisation d’une échographie. Quand c’est possible, le bébé sera mis au sein juste avant l’acte pour vider au mieux le sein et faciliter la lecture de l’échographie.
Si l’échographie révèle un abcès, le traitement préférentiel est un drainage par ponction écho-guidée sous anesthésie locale. D’après les dernières études, le taux de réussite du traitement d’un abcès par ponction écho-guidée n’est pas lié à la taille de l’abcès, mais plus directement lié à la rapidité de la prise en charge. Moins le contenu de l’abcès sera enkysté, meilleur sera le taux de succès du traitement par ponction. Plusieurs ponctions peuvent être nécessaires pour venir à bout d’un abcès. Le fait de devoir réaliser plusieurs ponctions n’est pas, en soi, un signe d’échec du traitement par ponction.
Il est utile de souligner les points suivants parmi les diverses conséquences négatives liées au drainage par incision versus un drainage par ponction à l’aiguille : prise en charge chirurgicale nécessitant une anesthésie générale ; difficulté à exprimer le lait si l’incision se situe à la jonction entre l’aréole et le sein, ce qui favorise le risque de récidive ; nécessité de soins infirmiers quotidiens au niveau de l’incision, avec toutes les contraintes que cela génère pour la mère ; délai important nécessaire à la cicatrisation (deux mois dans certains cas) ; risque majoré d’arrêt de l’allaitement ; et enfin éventuelle séparation mère-enfant en cas d’hospitalisation maternelle pour cette intervention.
Un abcès n’est pas une indication au sevrage, même sur le sein affecté, car il est rarement connecté avec un canal lactifère, et le bébé n’ingère donc de pus. Il n’y a pas non plus de risque infectieux pour l’enfant si l’antibiothérapie est adaptée. Un arrêt brutal de l’allaitement augmente la stase lactée et peut favoriser une augmentation de la taille de l’abcès ou, dans certains cas, favoriser l’apparition d’autres abcès dans le sein. La poursuite de l’allaitement permet de diminuer l’inflammation en favorisant la bonne vidange du sein et accélère la guérison de l’abcès.
Marie Courdent, LLL – IBCLC – DIULHAM
Claire Guerder, LLL
Biblio. Voir dans le dossier Pathologies du sein lactant : canal lactifère bouché, pore bouché, mastite, abcès
Je confirme qu'il faut absolument former les professionnels à ces questions ! J'ai eu une mastite qui a duré des semaines (c'était en fait un abcès) mais ma sage-femme ne s'en est pas inquiétée, c'est mon médecin généraliste qui a tiré la sonnette d'alarme. Je suis allé plusieurs fois aux urgences et personne n'a suivi le protocole détaillé ci-dessous j'ai eu deux ponctions, mais à chaque fois presque sur ma demande : aucun suivi après la première ponction, pas de contrôle échographique, persistance de la masse, antibiothérapie inefficace mais pas d'antibiogramme... j'ai du me faire opérer en anesthésie générale 6 semaines plus tard pour en venir à bout. Bien triste !
Merci pour cet article bien détaillé !
Je regrette que tout ce qui est mentionné ne soit pas ou trop peu connu du corps médical car la prise en charge de mon engorgement a été nulle et pire, on m'a dit de prendre de l'ibuprophene pendant 15jours, ce qui a encore plus aggravé ma situation. J'en suis à ma 4 ème ponction et je ne suis pas sortie d'affaire car il y a eu tellement de délai pour ma prise en charge que l'abcès était enkysté!
Si vous avez un engorgement qui ne passe pas demandez une échographie rapidement et surtout écoutez-vous et écoutez la douleur.
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