Publié dans le n° 149 des Dossiers de l'allaitement, août 2019
D'après : Influence of maternal diet on flavor transfer to amniotic fluid and breast milk and children’s responses : a systematic review. Spahn JM et al. Am J Clin Nutr 2019 ; 109(suppl) : 1003S-26S.
L’alimentation maternelle pendant la grossesse et la lactation peut avoir un impact important sur l’acceptation des aliments par l’enfant et sur ses préférences alimentaires à long terme, et il serait donc possible, via une alimentation maternelle saine, de favoriser de bonnes habitudes alimentaires chez les enfants. Le but de cette analyse était d’évaluer les relations entre l’alimentation maternelle pendant la grossesse et l’allaitement, le transfert de flaveurs dans le liquide amniotique et le lait maternel, et les réponses comportementales des enfants et leurs apports alimentaires.
Les auteurs ont recherché toutes les études sur le sujet publiées entre 1980 et 2017. Les études pouvaient être randomisées, transversales, ou des études de cohorte prospectives ou rétrospectives, elles devaient avoir été publiées en anglais et avoir été menées dans des pays développés sur des mères en bonne santé et des enfants nés à terme et en bonne santé. Les données ont été extraites et classées dans une base de données, puis synthétisées afin de pouvoir poser des conclusions dans toute la mesure du possible. La fiabilité des résultats de ces études a été évaluée à l’aide de l’échelle NESR, et les auteurs ont pris en compte les lacunes et les limitations des études incluses. Parmi les 176 études retenues en première lecture, 25 correspondaient aux critères d’inclusion dans cette analyse : 11 portaient sur l’alimentation maternelle pendant la grossesse et 15 sur l’alimentation maternelle pendant l’allaitement. Divers tests ont été utilisés pour évaluer le transfert de flaveurs dans le liquide amniotique et le lait humain. Les analyses sensorielles montraient que ces flaveurs étaient détectables par l’odorat et le sens du goût de testeurs humains. Un certain nombre d’études ont analysé le comportement des enfants en réponse à certaines flaveurs ou odeurs du liquide amniotique et du lait humain, le plus souvent en faisant consommer certains aliments ou certaines boissons à la mère, et en observant les réactions faciales ou le comportement alimentaire des enfants exposés à ces flaveurs et odeurs. Enfin, des études évaluaient l’impact de l’alimentation maternelle sur les apports alimentaires de l’enfant.
Pour 7 études, les apports alimentaires de la femme enceinte ont été adaptés aux objectifs de l’étude, les femmes du groupe cas devant ou ayant consommé de l’alcool, de l’anis, du jus de carotte ou de l’ail. Une étude a évalué la perception des flaveurs du liquide amniotique par un panel de testeurs (odeur d’ail détectée par les testeurs dans 4 des 5 échantillons de liquide amniotique dans une étude randomisée), tandis que les 6 autres ont évalué les réponses comportementales de l’enfant. 4 études ont évalué l’impact de l’alimentation maternelle sur les apports alimentaires des enfants. Les 4 études pour lesquelles les mères avaient consommé un aliment précis pendant leur grossesse ont fait état d’une réponse significative de leurs enfants à ces aliments par rapport au groupe témoin lorsqu’ils y étaient exposés entre 3 heures et 14 jours après la naissance. Les 2 autres études constataient que même après des mois (voire des années, une étude portait sur des enfants de 8-9 ans), l’enfant réagissait toujours de façon significative lorsqu’il était exposé au goût d’un aliment consommé par sa mère pendant la grossesse, et qu’il acceptait plus facilement de consommer cet aliment. 4 études longitudinales ont évalué l’impact de l’alimentation maternelle pendant la grossesse sur le comportement alimentaire de l’enfant. Elles incluaient de 52 à 9 649 dyades. 2 avaient été menées en Australie, 1 au Japon, la dernière ayant été menée en France et en Angleterre. Ces études présentaient toutefois d’importants biais méthodologiques rendant leurs résultats ininterprétables.
15 études évaluaient l’impact de l’alimentation maternelle pendant la lactation. Dans ces études, l’alimentation maternelle était adaptée, avec consommation maternelle d’alcool, d’ail, de jus de carotte, de mélange de jus végétaux, de tisane de fenouil et d’anis, de vanille, d’huile de poisson, de cumin, de menthe, de fruits ou d’eucalyptus. Les études chimiques et sensorielles ont été menées sur des échantillons de lait collectés à des moments précis, avec éventuellement comparaison avec un placebo, tandis que l’impact sur l’enfant était évalué dans les heures, les jours ou les mois qui suivaient. 10 études analysaient l’excrétion lactée des molécules odorantes : 5 études randomisées et 5 études cas-témoin dans lesquelles chaque mère était son propre témoin. Des analyses chimiques ont été menées dans le cadre de 8 études, tandis qu’une évaluation par des testeurs (la mère étant le testeur dans une étude) était menée dans 8 études (6 études combinant les deux techniques). L’âge des enfants inclus allait de 25 jours à 8 mois. 10 études, dont 5 études randomisées et 5 études contrôlées dans lesquelles chaque mère était son propre témoin ont recherché l’excrétion lactée des flaveurs : via des analyses chimiques pour 8 études (incluant 5 à 40 femmes), des testeurs pour 8 études (incluant 1 à 23 femmes), et la combinaison des deux pour 6 études. 8 de ces études constataient l’excrétion lactée de molécules odorantes, qui variait en fonction du temps dans 7 études, les molécules odorantes étant constatées dans le lait au bout de 30 à 60 minutes pour l’alcool, au bout de 2 à 3 heures pour l’ail, le jus de carotte, le cumin, la menthe, l’eucalyptus et l’anis, la flaveur se dissipant au bout de 3 à 8 heures. Aucun transfert de flaveurs n’était constaté après la consommation d’huile de poisson, de la tisane de fenouil et d’anis ou de banane. 5 études incluant 8 à 12 dyades ont évalué l’impact sur le comportement de l’enfant au sein pendant les heures suivant l’absorption maternelle de la saveur (ou du placebo – alcool, ail ou vanille). Toutes constataient un impact chez l’enfant 1 à 3 heures après cette absorption. 3 études évaluaient l’impact d’expositions répétées via le lait maternel sur l’acceptation d’un aliment spécifique par l’enfant allaité : 2 études constatant une meilleure acceptation de l’ail ou de la carotte par l’enfant, la troisième ne constatant aucun impact sur l’acceptation du cumin. 2 études randomisées constataient que la consommation répétée de jus de carotte ou de jus de divers végétaux par la mère augmentait l’acceptation de ces légumes précis par l’enfant des mois plus tard, mais le résultat était fonction de l’âge de l’enfant allaité au moment où la mère commençait à consommer le jus qui lui avait été assigné et de la durée de l’exposition via le lait maternel.
Pour le fenouil, voir la mise en garde ici : Galactogogues
Globalement, des données limitées mais relativement fiables permettent de penser que l’alimentation maternelle pendant la grossesse expose le fœtus à diverses flaveurs via leur transfert dans le liquide amniotique, et que cette exposition augmente le niveau d’acceptation de l’enfant à cette flaveur par la suite. Des données de fiabilité moyenne montrent que les molécules odorantes présentes dans l’alimentation maternelle sont excrétées dans le lait, et que tant des testeurs adultes que les enfants allaités peuvent détecter ces molécules odorantes et y réagir, y compris par une meilleure acceptation des aliments au goût desquels ils ont été exposés des mois plus tôt. En revanche, il est impossible de conclure à un impact de la qualité de l’alimentation maternelle pendant l’allaitement sur les apports alimentaires du bambin en l’absence d’études sur le sujet. Les résultats des études menées pendant l’allaitement étaient plus fiables en raison de la meilleure qualité méthodologique de la majorité des études (en particulier les études randomisées). Toutefois, ces résultats ne peuvent pas être extrapolés à d’autres flaveurs que celles qui ont été testées par ces diverses études. Les études à venir sur le sujet devraient être menées suivant une méthodologie de qualité élevée, chez des enfants entre la naissance et 2 ans. Il serait préférable que les données sur les apports alimentaires des enfants ne soient pas uniquement fournies par les mères. Ces études devraient prendre en compte davantage de saveurs pour déterminer lesquelles sont transmises ou non dans le liquide amniotique et le lait maternel, la dose nécessaire pour que la flaveur soit détectable, la fréquence d’exposition nécessaire à la constatation d’un impact chez l’enfant, dans quelle mesure les réponses des enfants peuvent varier de façon individuelle en fonction des flaveurs et du niveau d’exposition, et pour analyser l’impact global de l’alimentation maternelle sur les préférences alimentaires infantiles.
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