Publié dans le n° 158 des Dossiers de l'allaitement, mai 2020.
D'après : Association between breastfeeding and postpartum multiple sclerosis relapses. A systematic review and meta-analysis. Krysko KM et al., JAMA Neurol 2020 ; 77(3) : 327-338.
La sclérose en plaques (SEP) touche particulièrement les femmes en âge de procréer. Si diverses stratégies thérapeutiques peuvent abaisser le risque de poussées, ces traitements ne seront pas toujours possibles pendant la grossesse et l’allaitement. Le risque de poussées baisse pendant le dernier trimestre de la grossesse, mais il augmente pendant les trois premiers mois post-partum, en particulier chez les femmes qui présentent une SEP agressive. Il n’existe actuellement pas de consensus concernant l’impact de l’allaitement sur le risque de poussées, même si des études suggèrent qu’elles sont plus courantes chez les femmes qui n’allaitent pas. Le but de cette méta-analyse était de faire le point sur le sujet.
Les auteurs ont recherché toutes les études publiées entre janvier 1980 et juillet 2018 sur l’impact de l’allaitement sur le risque de poussée de SEP. Ils ont pris en compte les études fournissant des données sur les pratiques d’allaitement, quelle que soit leur méthodologie à partir du moment où elles comportaient un groupe témoin. Deux des auteurs ont analysé les études afin de retenir celles qui étaient pertinentes. Ils en ont extrait les données et les ont classées dans un tableur. Ils ont pris en compte les diverses définitions de l’allaitement, sa durée, l’existence de données sur l’allaitement exclusif, la définition utilisée pour les poussées, le délai entre la naissance et la survenue d’une poussée… Les auteurs des études ont été contactés lorsque les données souhaitées n’étaient pas fournies dans le texte de l’étude. Les auteurs de la méta-analyse ont évalué le risque de biais méthodologiques, et ils ont exclu les études qui présentaient des biais majeurs. Ils ont par ailleurs analysé séparément le sous-groupe d’études dont la qualité était la plus élevée, ainsi que divers sous-groupes de femmes en fonction de la durée de l’allaitement et de son caractère exclusif ou non. L’hétérogénéité a été analysée via des graphiques en forêt.
24 études correspondaient aux critères d’inclusion, mais seulement 16 d’entre elles permettaient une méta-analyse quantitative. Ces 24 études étaient des études de cohorte et la plupart d’entre elles étaient au moins partiellement prospectives. Les femmes avaient 28 à 34 ans, et le diagnostic de SEP avait été posé depuis 4 à 9 ans, ces chiffres étant du même ordre dans toutes les études. La fréquence annuelle des poussées allait de 0,02 à 1 suivant les études, le niveau d’incapacité des femmes touchées étant du même ordre dans toutes les études (incapacité modérée). Concernant les définitions de l’allaitement, 9 études retenaient dans le groupe allaité uniquement les enfants qui l’étaient exclusivement ou presque exclusivement pendant habituellement au moins 2 mois. Les autres études classaient comme ayant allaité toutes les mères qui l’avaient fait pendant quelque durée que ce soit (sans précision sur l’exclusivité) et dans le groupe nourri au lait industriel les mères qui n’avaient pas du tout allaité. Toutes les études utilisaient une définition standard pour les poussées, dont la prévalence était évaluée à des moments variables suivant les études (de 3 à 12 mois). 7 études étaient de qualité moyenne, les autres étant de qualité médiocre à mauvaise.
Lorsqu’on regroupait les données des 15 études qui incluaient des enfants allaités versus des enfants non allaités, le risque de poussée en post-partum était 1,58 fois plus élevé chez les femmes qui n’avaient pas allaité par rapport à celles qui avaient allaité. L’hétérogénéité entre ces études était modérée. Lorsqu’on prenait en compte uniquement les 6 études dont la qualité était la plus élevée, le risque de poussée était 2 fois plus élevé chez les femmes qui n’avaient pas allaité, l’hétérogénéité restant modérée, toutes les études suggérant un impact bénéfique de l’allaitement. 4 de ces études fournissaient un rapport de risque après correction pour les autres variables, avec un risque de poussée 1,75 fois plus élevé chez les femmes qui n’avaient pas allaité. L’impact négatif du non-allaitement était plus évident dans les études qui prenaient en compte une durée d’allaitement exclusif d’au moins 2 mois que dans les études qui prenaient en compte l’allaitement pendant quelque durée que ce soit, même si tant l’allaitement exclusif que le fait d’avoir allaité avaient un impact. La durée du suivi (de 3 à 12 mois) était la principale raison de l’hétérogénéité entre les études. Cette hétérogénéité diminuait fortement lorsqu’on analysait les résultats de sous-groupes d’études dont la durée du suivi était la même. À noter que l’hétérogénéité était significative entre les études menées jusqu’en 2010, et qu’elle était presque nulle dans les études publiées par la suite. Parmi les 8 études qui n’ont pas été prises en compte dans la méta-analyse quantitative en raison de l’absence de données indispensables, 6 concluaient à l’absence d’impact de l’allaitement, mais toutes présentaient des risques majeurs de biais et elles ne fournissaient pas les données brutes à l’origine de leurs conclusions.
Cette analyse présente des limitations, qui sont essentiellement celles des études incluses. Globalement, elle permet de conclure à un impact bénéfique de l’allaitement sur le risque de poussée de SEP en post-partum, cet impact étant plus net dans les études plus récentes et de meilleure qualité, ainsi que dans les études prenant en compte une durée d’allaitement exclusif d’au moins 2 mois. Cet impact est également le plus net pendant les 6 premiers mois. Il serait cependant nécessaire de mener d’autres études, selon une méthodologie rigoureuse, afin de mieux cerner l’impact de l’allaitement et de ses caractéristiques sur le risque de poussée, ainsi que sur la sécurité des traitements de la SEP pendant l’allaitement.
Question/réponse
Q – Je suis enceinte et atteinte de sclérodermie. La sage-femme, sans explication, contre-indique l'allaitement. Je recherche d'autres avis.
R de Julie Hamdan, médecin, animatrice LLLF et DIULHAM – Peut-être que la sage-femme a extrapolé à partir des craintes communément exprimées vis-à-vis de l'allaitement chez des mères atteintes de certaines maladies systémiques, telles que le lupus ou le syndrome des anticorps anti-phospholipides. En effet, dans ces pathologies, il a été mis en évidence de faibles taux d'auto-anticorps maternels dans le lait maternel. Cependant, il n'y a pas de risque avéré pour l'allaitement. Les auto-anticorps peuvent poser problème chez le bébé juste après la naissance, car ils ont pu traverser la barrière placentaire pendant la grossesse, mais la situation est bien sûr différente avec l'allaitement, car les anticorps ne passent pas directement dans le sang du bébé comme pendant la grossesse. Dans le cadre du lupus par exemple, il a été mis en évidence au contraire un effet protecteur, chez le bébé, des auto-anticorps de la mère dans le lait maternel.
Peut-être, sinon, que la sage-femme se réfère au fait qu'une proportion non négligeable de patientes atteintes de sclérodermie présentent une hyperprolactinémie et qu'un lien a été fait entre taux de prolactine élevé et sévérité de la maladie. Cependant, il n'y a aucune donnée établie, ni sur une quelconque aggravation de la maladie en cours d'allaitement, ni sur une contre-indication de l'allaitement chez les mamans atteintes de cette pathologie.
Allez aussi regarder ICI ce qui est écrit sur la sclérodermie dans "Autres documents".
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci