Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 62, LLL France, 2005
C’est dans les années 60 et 70 que l’on a poussé le plus loin l’introduction précoce des solides : dès 2 mois, les bébés avaient droit non seulement aux bouillies, mais aussi aux fruits, aux légumes et à la viande. Stimulés autant par les médecins que par les industriels désireux de vendre leurs petits pots, les parents semblaient engagés dans une course folle à qui mettrait le plus tôt possible une cuillère dans la bouche de son bébé.
Même si l’on est aujourd’hui moins pressé (d’ailleurs, depuis un arrêté du 17 avril 1998, les aliments pour bébés doivent porter la mention « à partir de 4 mois », avant, espérons-le, de porter celle « à partir de 6 mois »), la France reste, d’après le Pr Voyer, « le pays d’Europe où la diversification de l’alimentation est la plus précoce ».
Or toutes les études récentes le montrent, non seulement une diversification alimentaire précoce est inutile, mais elle peut aussi être nuisible.
Inutile…
Les partisans de la diversification précoce avancent généralement deux arguments en sa faveur : la formation du goût et la croissance harmonieuse de l’enfant.
Pour le premier point, on sait que contrairement aux bébés nourris au biberon pour lesquels c’est tous les jours « plat unique », les bébés allaités bénéficient dès le début d’une diversité de goûts, puisque le lait change de goût selon ce qu’a mangé la mère dans les heures précédentes (1). Pour eux, la formation du goût est donc bien assurée !
Sur le second point, les experts internationaux sont maintenant à peu près tous d’accord pour dire que le lait maternel couvre sans problème les besoins nutritionnels du bébé pendant les six premiers mois.
On sait qu’en mai 2001, l’Assemblée Mondiale de la Santé a adopté une résolution poussant les Etats membres à « privilégier l’allaitement maternel exclusif pendant 6 mois, qui doit être considéré comme une recommandation de santé publique mondiale ». L’OMS a repris cette recommandation dans sa Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (2003). Elle s’appuyait pour cela sur l’avis d’un groupe d’experts qui avait procédé à un examen systématique (plus de 3000 références) de la littérature scientifique sur le sujet : études comparant l’allaitement exclusif pendant 4 à 6 mois, contre 6 mois, en termes de croissance, bilan en fer, morbidité, pathologies allergiques, développement moteur, perte de poids de la mère après l’accouchement et durée d’aménorrhée.
… et nuisible
Introduire trop tôt les solides consiste à remplacer un aliment complet – le lait maternel – par quelque chose de qualité inférieure, plus coûteux en argent et en temps de préparation, pouvant être contaminé (notamment dans le Tiers-Monde, avec les problèmes d’eau non potable) et induire des infections microbiennes et des diarrhées, et que le système digestif de l’enfant n’est pas prêt à assimiler.
Comme le disait l’UNICEF en 1999, « sauf cas très rares, non seulement le bébé n’a besoin d’aucun autre liquide ou aliment avant 6 mois, mais de plus ces compléments peuvent être nuisibles, en augmentant l’exposition aux germes pathogènes, en favorisant la survenue d’allergies, et en abaissant la quantité de lait maternel consommé par l’enfant ».
L’ANAES ne dit pas autre chose quand elle écrit dans ses recommandations (2003) : « L’introduction de compléments entre 4 et 6 mois en plus de la poursuite de l’allaitement conduit à un excès de risque significatif de gastro-entérite et doit donc être déconseillée. »
Un programme de promotion de l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois en Inde (2) a ainsi permis une réduction significative du nombre de diarrhées, sans aucune incidence négative sur la croissance des enfants.
Les effets ne concernent pas que les gastro-entérites : une étude faite sur 2277 enfants âgés de 6 à 24 mois (3) a montré que le risque de pneumonie est cinq fois moindre et le risque d’otite moitié moindre avec un allaitement exclusif de six mois comparé à un allaitement exclusif de quatre mois.
Et ils sont aussi à long terme : une étude faite en Irlande (4) a montré que les enfants qui commençaient à recevoir des solides avant 3 mois ½ avaient un risque plus élevé de pathologies cardiaques et de diabète à l’adolescence.
Les allergologues quant à eux s’accordent tous pour déconseiller une diversification alimentaire précoce, car plus l’on introduit tôt un aliment, plus le risque d’intolérance, voire d’allergie vraie est grand. Comme le disait le Pr Dutau (CHU de Toulouse) dans un article de Que Choisir en 1999, « il n’existe aucun argument médical pour donner autre chose que du lait maternel ou en poudre avant l’âge de six mois ». Et ils conseillent d’attendre l’âge de 1 an pour certains aliments : oeufs, poisson, arachide, jus de fruits, fruits exotiques, arômes et additifs divers, farines contenant du gluten...
Un certain nombre de stomatologues et d’orthodontistes les rejoignent en dénonçant « la nocivité de l’administration passive d’aliments mixés, moulinés, réduits en bouillie et imposés à la cuillère » (Dr AR Chancholle, Toulouse) qui est la règle quand on veut introduire les solides avant que l’enfant n’y soit prêt (5).
Ajoutons que pour la mère, retarder l’introduction des solides, c’est généralement repousser la reprise du cycle menstruel (6), ce qui a un intérêt certain pour sa santé (moins de pertes de sang et donc de fer, diminution du risque de cancer du sein et des ovaires...). Allaiter exclusivement pendant six mois semble également favoriser la perte de poids.
Pas avant 6 mois, mais après ?
« Les solides pas avant 6 mois » est un message qui commence à bien passer. Mais qu’en est-il si l’enfant continue à les refuser, ne semble pas du tout intéressé, alors qu’il a dépassé cet âge fatidique ? Y a-t-il un danger à poursuivre un allaitement exclusif au-delà de 6 mois ?
Certaines études ne craignent pas d’affirmer que « la plupart des enfants allaités par une mère en bonne santé n’ont pas besoin de suppléments pendant la majeure partie de leur première année pour avoir une croissance satisfaisante » (7). Et l’expérience de nombreuses mères est là pour conforter cette analyse.
Il est vrai qu’il arrive que les bébés allaités exclusivement ou partiellement après 6 mois « décrochent » des courbes de croissance qu’on trouve dans les carnets de santé, ce qui inquiète parents et médecin. La plupart du temps, ce n’est pas la croissance de ces bébés qui est mauvaise, mais les courbes qui sont inadaptées. L’Organisation Mondiale de la Santé met actuellement au point de nouvelles courbes, qui devaient être publiées en 2002 mais qu’on attend toujours (Ndlr : elles sont sorties depuis, voir ICI).
Attention quand même à ne pas faire de jusqu’auboutisme dangereux. Il vient quand même un moment où le lait maternel ne comble plus tous les besoins nutritionnels de l’enfant. Même si certains enfants exclusivement allaités peuvent continuer à avoir une croissance satisfaisante bien au-delà d’un an, l’apport calorique réalisé par le lait maternel peut dans certains cas s’avérer insuffisant à partir de 8 ou 9 mois. On estime par ailleurs qu’en moyenne, un bébé né à terme commencera à avoir besoin de fer provenant d’autres sources entre 6 et 9 mois. Attention donc à une possible carence en fer, mais aussi en zinc. Enfin, certains bébés qui ne commencent pas les solides avant 12 mois semblent avoir des difficultés à accepter ensuite une alimentation solide.
Comment ça se passe ?
En fait, la plupart du temps, on n’a pas à se poser tant de questions, car l’enfant manifeste très bien son envie de commencer à goûter autre chose.
Cela se passe souvent vers le milieu de la première année. À cet âge,
* l’appareil digestif a mûri et devient capable d’absorber toute une gamme d’aliments,
* la « barrière » de la muqueuse intestinale s’est développée, ce qui réduit les risques d’allergie alimentaire,
* le réflexe de succion a diminué, la sécrétion de salive augmente et aide l’enfant à avaler des aliments de consistance épaisse,
* la coordination musculaire s’est améliorée : la langue peut transférer à peu près les aliments solides de l’avant à l’arrière de la bouche,
* le contrôle des mouvements de la tête s’est amélioré, le bébé tient assis, peut se pencher en avant, détourner la tête pour dire qu’il n’a plus faim, il tient bien les objets entre le pouce et les autres doigts et peut les diriger vers sa bouche sans craindre de s’éborgner...,
* les dents commencent à apparaître.
À ce moment-là, si le bébé est présent au moment du repas familial, par exemple sur les genoux de son père ou de sa mère, il va commencer par s’intéresser de plus en plus à la nourriture, suivre des yeux le trajet de la fourchette de l’assiette à la bouche du parent, réclamer sa part par des cris, et carrément mettre la main dans le plat pour se servir ! Il n’y a alors plus à tergiverser : il est sans aucun doute prêt pour les solides ! (8)
Pour autant, si l’on ne fait pas le forcing, les solides peuvent rester longtemps des « à-côtés » du lait, qui complètent et non remplacent l’allaitement. C’est d’ailleurs ce qu’il est conseillé de faire si l’on souhaite que l’allaitement se poursuive : ne pas vouloir remplacer une tétée par un repas, garder un allaitement à la demande (et dans ce cas, le nombre de tétées, loin de diminuer au fil des mois, peut rester constant tout au long de la première année), proposer d’abord le sein et ensuite les solides (9).
C’est ce que recommande l’OMS quand elle parle d’introduire des « aliments complémentaires sûrs et appropriés, avec poursuite de l’allaitement jusqu’à l’âge de 2 ans ou au-delà ».
Dans ce cas, pendant plusieurs mois, la part la plus importante de l’alimentation peut toujours être fournie par le lait maternel, l’enfant se contentant d’explorer les aliments à son rythme, goûtant un fruit tel jour, mâchouillant une croûte de pain le lendemain.
Quand on procède ainsi, il importe peu de commencer par tel ou tel aliment, et les tableaux alimentaires qu’on trouve dans tous les manuels de puériculture n’ont pas grande utilité. On veillera simplement à ne pas introduire plus d’un aliment nouveau à la fois et à éviter les possibles allergènes (voir plus haut).
Il n’est pas nécessaire non plus de préparer des plats spéciaux pour le bébé (ni d’acheter des petits pots, même s’ils peuvent être utiles en dépannage) : on trouvera généralement dans la nourriture familiale des choses qui lui conviennent. Pas besoin non plus de tout réduire en bouillie, bien au contraire : le bébé qui est prêt pour les solides aime manger des morceaux (même si, au début, on les retrouve intacts dans la couche !), il aime même ronger des choses dures. Il faut savoir qu’un bébé allaité digère mieux et plus tôt les aliments solides qu’un enfant nourri au lait industriel, car le lait maternel contient des enzymes qui l’aident à digérer les gras, les protéines et les féculents.
Et un jour, les solides prendront le pas sur le lait, sans qu’on n’ait jamais eu besoin de se battre avec un bébé rétif à se laisser « gaver », sans batailles autour de la nourriture, sans longues préparations spéciales pour bébé et sans achats massifs de petits pots.
Là aussi, on aura respecté les besoins de l’enfant, son rythme de développement, lui donnant le sentiment d’être un individu maître de son corps, libre de choisir ses aliments (10) et prêt à partager la table familiale.
Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau
(1) Voir Les Dossiers de l’allaitement, n° 26, p. 19.
(2) Bhandari et al, Effect of community-based promotion of exclusive breastfeeding on diarrhoeal illness and growth : a cluster randomised controlled trial, Lancet 2003 ; 362 : 1418-23.
(3) Chantry CJ et al, Breastfeeding fully for 6 months vs 4 months decreases risk of respiratory tract infection, Pediatric Academic Societies’ Annual Meeting, mai 2002.
(4) Belch J, Babies’ earliest diet implicated in health risk factors, University of Dundee Press & Publications, 2001.
(5) Voir aussi l’article de M Limme, Conduites alimentaires et croissance des arcades dentaires, Rev Orthop Dento Faciale 2002 ; 36 : 289-309, qui insiste sur l’importance de la mastication pour le développement des mâchoires.
(6) Voir par exemple l’étude de Simondon KB et al (Lactational amenorrhea is associated with child age at the time of introduction of complementary food : a prospective cohort study in rural Senegal, West Africa, Am J Clin Nutr 2003 ; 78(1) : 154-61) qui montre une relation très nette entre le moment du retour de couches et le moment d’introduction des solides : par rapport à une introduction des solides après 7 mois, le risque de voir survenir le retour de couches avant 6-7 mois était multiplié par six chez les mères qui avaient introduit les solides à 4-5 mois, et par 4,45 chez celles qui les avaient introduits à 6-7 mois.
(7) Voir les études citées dans Rethinking current recommendations to introduce solid food between four and six months to exclusively breastfeeding infants, HC Borresen, JHL 11(3), 201-204, 1995. Traduit dans le n° 27 des DA, p. 25.
(8) C'est ce qu'on appelle maintenant la Diversification Menée par l'Enfant (DME). Voir le site Diversification alimentaire.
(9) Cela dit, si l’allaitement et l’introduction des solides se passent bien tous les deux, on n’est pas obligé de proposer systématiquement le sein et les solides chaque fois que le bébé mange.
(10) De nombreuses études ont montré que les petits enfants libres de choisir parmi une grande variété d’aliments de bonne qualité, finissent par équilibrer leur alimentation sur la semaine.
L’avis de l’anatomiste
Il faut donc introduire progressivement des aliments en morceaux, car les mouvements masticatoires ne peuvent être déclenchés que par le contact de solides avec la muqueuse buccale ; solides dont le volume, la consistance et les saveurs doivent être aussi variés que possible. En dépend, outre la croissance faciale et la coordination motrice, la qualité du rangement dentaire sur chaque arcade, qui nécessite des pressions aléatoires sur les crêtes gingivales. En dépend aussi la qualité des informations sensorielles qui construisent à cet âge une part importante des connections neurales encéphaliques : le goût et l’odorat, toujours liés, sont les sens majeurs du nourrisson, et seuls des aliments en morceaux, broyés en bouche, peuvent générer des saveurs et des flaveurs suffisantes pour la stimulation cérébrale (à l’étage thalamique, hypothalamique et de la formation réticulée mésencéphalique).
Dr Chancholle, Chirurgie plastique et reconstructive, Toulouse.
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
Les études montrent que cette crainte n'est pas fondée. Vous pouvez aller voir ici :
https://jessicacoll.com/fr/blogue/etouffement/
Bonjour, je vais commencer la diversification d'ici 1 mois pour les 6 mois de mon fils mais je suis un peu inquiète quant à lui donner des aliments solides (sûrement les moeurs de la bouillie/purée un peu trop ancrées). Ne risque-t-il pas de s'étrangler?
Actuellement en école de puériculture, nous avons des apports concernant la petite enfance dont la diversification alimentaire qui fait grand débat. Pourtant le ESPGHAN (comité de nutrition de la société européenne de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique) a sorti un document le 19/02/2017 concernant la diversification alimentaire pas avant 4 mois et pas après 6 mois.
Bonjour,
De nombreux allergologues (surtout en Allemagne, où nous vivons) reviennent justement sur cette idée qu'il faut attendre six mois pour limiter les risques d'allergie.
Notre première fille, allaitée exclusivement jusqu'à six mois, était et est toujours, à 2 ans et demi allergique aux protéines de lait de vache. On nous a donc conseillé pour la seconde de démarrer plus tôt la diversification.
Je suppose que vous pensez notamment à ce qu'on dit sur l'introduction du gluten.
Vous pouvez aller voir ici :
https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/dossiers-de-l-allaitement/1807-quand-introduire-le-gluten
Vous pouvez lire également cet article :
https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/dossiers-de-l-allaitement/1807-quand-introduire-le-gluten
et aussi :
https://www.lllfrance.org/vous-informer/actualites/1804-pour-le-parlement-europeen-pas-de-petits-pots-avant-6-mois
Le mieux est d'attendre que l'enfant semble prêt et avoir envie de goûter autre chose que le lait maternel !
Bonjour, j'entends tout et son contraire, soit disant qu'il y aurait une étude très récente informant l'importance de commencer la diversification entre 4 et 6 mois alors je me pose la question. Votre article est il toujours à jour? Merci d'avance
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