Ce dossier est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 71, LLL France, 2007
À la fin de cet article : Point de vue d’animatrice : Un « programme de survie »
Naissance ne rime pas toujours avec bonheur. Tout a pu bien se passer, l’enfant attendu, différent de l’enfant rêvé, être source de joie pour tous, et pourtant la nouvelle maman peut ne pas nager dans le bonheur. Baby blues, dépression du post-partum… existent et sont plus fréquents qu’on ne le croit.
Le baby blues
Il toucherait 50 à 80 % des femmes dans les jours qui suivent la naissance. Sans raison apparente, la nouvelle maman se sent triste, a envie de pleurer sans savoir pourquoi. Une phrase un peu malhabile d’un proche, et voilà un torrent de larmes… La maman se sent incapable de faire face aux besoins de son bébé. Toutes les remarques de l’entourage sont prises au premier degré, et peuvent la bouleverser.
L’intensité de ces troubles est maximale au troisième et quatrième jour du post-partum. Si la sortie de maternité est précoce et coïncide avec ce pic émotionnel, c’est parfois un vrai sentiment de panique qui inonde la nouvelle maman au moment de mettre la clé dans la serrure pour rentrer chez elle avec son nouveau-né dans les bras. Elle peut se sentir écrasée par la responsabilité de vie ou de mort d’un être humain.
Les jours passant, sa confiance en elle revient, et la jeune maman va reprendre le dessus. Il n’empêche que, pendant toute cette période de préoccupation maternelle primaire (selon les termes de Winnicott), la nouvelle maman, en particulier si elle allaite, va être très proche de son bébé. Il passe en premier, avant tout. Elle sera sensible aux moindres petits signes qu’il lui envoie. Il suffit qu’il bouge un peu dans son berceau pour que ses seins commencent à picoter et à couler. La nuit, la maman qui allaite et n’a pas été séparée de son enfant, se réveille 30 secondes avant que lui-même ne commence à s’éveiller… Ce qui est le plus surprenant dans cette proximité mère-enfant, c’est qu’elle peut se manifester même s’ils sont séparés par des kilomètres. Combien de mères ont rapporté qu’elles se trouvaient au restaurant ou au supermarché, qu’à une heure précise, elles ont senti une montée de lait, et qu’après vérification auprès de la personne qui gardait l’enfant, il s‘est avéré qu’il avait pleuré exactement au même moment. Mystère du lien mère-enfant que renforce l’allaitement…
La dépression du post-partum
Pour certaines mères, ce chamboulement psychique ne se termine pas aussi vite et on pensera alors à une dépression du post partum. Elle peut se manifester dans l’année qui suit la naissance, avec des pics de fréquence à 6-8 semaines, puis au sixième et septième mois. Elle semble concerner environ 10 % des nouvelles accouchées. Les mamans qui ont une histoire personnelle, familiale, conjugale difficile, et les mères de jumeaux et de triplés, sont plus à risque que les mères qui n’accouchent que d’un seul enfant dans un contexte plus serein.
Cette possibilité de vivre une dépression du post-partum est méconnue des jeunes parents et de leur famille. Les mères elles-mêmes ont beaucoup de mal à reconnaître, voire même à percevoir leur état de souffrance : comment se plaindre ou même être triste alors qu’on vient d’avoir un bébé et qu’on devrait être la plus heureuse des femmes ? Cette réticence à admettre que l’on puisse être mère et se sentir triste est d’ailleurs partagée par beaucoup de professionnels de la petite enfance et par l’entourage familial de la mère. Le nouveau papa peut ne pas comprendre du tout pourquoi sa femme est si mal, et être vraiment démuni pour la soutenir. De plus, il peut y avoir comme une « réactivation » de souffrances que nous pensions enfouies dans le passé : « Comment ai-je été moi-même aimé, accueilli par mes parents ? » Ceci vaut autant pour la mère que pour le père…
De plus en plus d’équipes de soignants de maternité ou de PMI, pour évaluer l’intensité de la dépression, utilisent un auto-questionnaire qui permet aux mères de s’autoriser à parler de leurs souffrances (Edinbourg Post-natal Depression Scale – EPDS). Entendues, les mères pourront alors être orientées vers des structures spécialisées. Elles ont besoin d’une prise en charge spécifique, associant médicaments et thérapie pour que leur mal-être ne rejaillisse pas sur la relation qu’elles ont avec leur enfant.
La psychose puerpérale est une pathologie sur laquelle nous ne nous étendrons pas, car elle est heureusement rare (1 à 2 pour 1 000). La maman est très mal, perdue dans son délire, et elle a besoin en général d’une hospitalisation en service spécialisé.
Et l’allaitement ?
Dans une étude publiée en 2004 dans Biological Psychology, Jones et ses collègues ont trouvé que l’allaitement protège l’enfant des effets néfastes d’une dépression maternelle. Les enfants des mères déprimées allaitantes avaient les mêmes schémas d’activité cérébrale que ceux des mères non déprimées, ce qui n’était pas le cas des bébés de mères déprimées non allaitantes. Une des raisons avancées est qu’en allaitant, les mères vont plus facilement toucher, bercer, avoir des contacts visuels avec leur bébé. C’est une bonne raison pour encourager les mères déprimées à poursuivre l’allaitement.
Dépression et sevrage
Les mères déprimées vivent plus souvent un sevrage précoce. Les femmes qui ont des mamelons douloureux sont plus à risque de déprimer. Avoir mal en donnant le sein, tétée après tétée, a un impact fort sur le moral. Une fois les crevasses guéries, la cotation sur une échelle de dépression telle l’EPDS diminue.
Stress du post-partum, fatigue et dépression
Le stress et la fatigue majorent le risque de dépression. Et là, l’allaitement peut faire la différence. Sous l’effet des hormones de l’allaitement, les tétées apaisent les mères, contrairement au don d’un biberon. De nombreuses études sont en cours pour voir quels sont les liens entre des perturbations hormonales, biologiques et la dépression.
Néanmoins une grande fatigue, l’isolement, le manque de soutien, d’aide pratique, des difficultés d’allaitement, des questions, un manque de sommeil à 1 mois peuvent faire craindre une dépression dans les mois à venir. Aider les mères à trouver les aménagements nocturnes qui leur permettront d’être le plus reposée possible est très important : bébé « à portée de main et à portée d’oreille » (lit dans la chambre des parents, berceau side-bed, partage du lit avec des précautions de sécurité). Durant le premier mois principalement, mais aussi durant les suivants, s’autoriser des siestes dans la journée en donnant les tétées en position allongée permet de faire de multiples petites siestes, ce qui est indispensable pour éviter le manque de sommeil et tenir le coup. Comme le bébé, la maman récupère en plusieurs fois sur 24 h.
Accepter de se faire aider, même si ménage et repassage ne sont pas fait comme on avait l’habitude, permet de se consacrer au bébé et de trouver un peu de temps pour soi. Dans les trois mois qui suivent une naissance, il est possible de bénéficier de l’aide d’une travailleuse familiale pour une durée de 80 heures. La participation financière dépend des revenus mais la CAF peut apporter une aide importante. Cela vaut la peine de se renseigner auprès de la PMI pour avoir les coordonnées de l’association dont on dépend et connaître l’éventuel coût d’une telle aide. Certains comités d’entreprise (enseignants) ou mutuelles peuvent participer aux frais ou offrir une « prime de naissance » que l’on peut consacrer à se faire aider. Il ne faut pas attendre d’être épuisée pour en faire la demande, car les trois mois de l’enfant sont vite passés, et il faut le temps d’instruire le dossier. Après les trois mois, il est possible de relayer par une prise en charge CPAM, avec une ordonnance médicale indiquant que l’état de santé de la maman nécessite l’intervention d’une travailleuse familiale au domicile.
Contre le stress, les études ont montré que faire de l’exercice est profitable. Suggérer à une maman déprimée de faire deux ou trois fois par semaine 20 minutes d’exercice sera bénéfique. Sortir avec bébé en porte-câLLLin, en écharpe de portage ou dans une poussette, ou profiter quand c’est possible du grand air et du soleil, ne peut qu’être bénéfique.
Les médicaments
Le plus souvent, les mères qui font une dépression suite à une naissance ont besoin de prendre des médicaments. En France, aujourd’hui, les mères qui allaitent ne veulent pas aller consulter ou ne veulent pas prendre le traitement indiqué, car trop souvent le médecin leur a dit qu’il n’est pas compatible avec la poursuite de l’allaitement et leur a parlé de sevrage. Ce qui veut dire que leur dépression n’est pas soignée. Or il existe des traitements compatibles avec l’allaitement. La décision de poursuivre l’allaitement sous traitement antidépresseur sera prise au cas pas cas, d’autant que la possibilité d’allaiter est souvent importante pour le vécu de ces mères. Peu d’effets secondaires à court terme ont été rapportés dans la littérature médicale chez des enfants allaités par des mères traitées avec ces produits. Toutefois, d’autres études seraient nécessaires pour évaluer leur impact à long terme sur le développement de l’enfant.
Les recherches récentes montrent que l’allaitement, même s’il ne supprime pas le risque de dépression, le diminue et peut aider une mère dans cette période de transition que constitue la naissance d’un enfant. A contrario, imposer un sevrage non souhaité à une mère peut entraîner ou majorer un état dépressif, qui sera d’autant plus important si le sevrage est brutal et qu’il prive la mère de l’effet relaxant des hormones de la lactation.
Marie Courdent,
animatrice LLL, puéricultrice PMI, formatrice AM-F, consultante en lactation IBCLC
Bibliographie
- G Guillaumont, Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum, cours de psychologie médicale, 27 novembre 2000.
- Nicole Guedeney, La dépression du post-partum, Psychiatre, 14 octobre 1999.
- Nicole Guedeney, Premiers résultats de la traduction de l’Edinburg Post-natal Depression Scale sur une population parisienne, Devenir 1995, Vol 7, n° 2.
- Kathleen Kendall-Tackett, New studies in post-partum, Leaven, August 2005.
- Jones, N.A., Patterns of brain electrical activity in infants of depressed mothers who breastfeed and bottle feed : the mediating role of infant temperament, Biol Psychol 2004 ; 67(1-2) : 103-24.
- F Railhet, Allaitement et dépression maternelle, Dossiers de l’allaitement 2007 ; 70 : 13-15.
- F Railhet, Les antidépresseurs IRS, Dossiers de l’allaitement 2002 ; 53 : 13-15.
- CH Mirabel-Sarron, La dépression, comment en sortir, Odile Jacob.
- Pascale Rosfelter, Bébé blues, la naissance d’une mère, Seuil.
- Violaine Guéritault, La fatigue émotionnelle et physique des mères, le burn-out maternel, Odile Jacob.
- Maman blues, Tremblements de mères, 2010.
Une association
Née en janvier 2006, l’association Maman Blues a pour but d’informer, soutenir et conseiller les parents et futurs parents ; témoigner de ce qu’est la difficulté maternelle afin qu’elle soit reconnue dans toute sa dimension humaine et pas seulement pathologique ; inviter les professionnels de santé à se sensibiliser et se former sur le sujet ; intervenir auprès des pouvoirs publics.
Sur le site de l’association, on trouve des informations, un forum de discussion, des coordonnées de professionnels.
www.maman-blues.org
Un forum
Les pères aussi
P Ramchandani et al, Paternal depression in the postnatal period and child development : a prospective population study, Lancet 2005 ; 365 : 2201-05.
La dépression du post-partum est surtout connue chez les mères, mais elle peut également toucher les pères de jeunes enfants. Des études ont montré que la survenue d’une dépression chez la mère pouvait avoir un impact négatif chez l’enfant. Une étude récente a trouvé qu’une dépression en post-partum chez le père pouvait aussi avoir un effet négatif sur le développement comportemental et émotionnel de l’enfant.
Les pères ont rarement des lieux où échanger sur leurs émotions, leurs sentiments, ou des personnes avec qui parler. Reconnaître qu’un mal-être peut les saisir, et les encourager à consulter, sera bénéfique pour l’ensemble de la famille.
Point de vue d’animatrice : Un « programme de survie »
- s'autoriser des siestes
- bébé à portée de bras, à portée d’yeux, à portée d’oreille
- s'offrir un plaisir par jour (cela peut aller de la douche au goûter..., chacune connaît ses besoins) et s'en nourrir : « Ah, mon petit thé préféré... » (j'ai encore le souvenir d'une douche à 15 h parce que c'était le moment où j'avais quelqu'un pour me prendre la bébé)
- prendre soin de ses besoins primaires (manger, boire, dormir)
- sortir (les soldes avec le porte-câLLLin, les vendeuses émues à porter le petit le temps de l'essayage)
- se « rhabiller » sans attendre la reprise du tour de taille (qui peut être tardif et donc déprimant), c’est-à-dire adapter sa garde-robe à sa nouvelle vie (les vêtements adorés pendant la grossesse nous sortent par les yeux), afin de garder l'estime de soi : « Je ne suis pas un sac, je ne m'habille pas avec un sac »
- oser demander de l'aide : repassage, courses, plats préparés avec amour, sortir les grands...
- se choisir un slogan qui sera comme un phare dans le tourbillon de cette période, par exemple : « Maman, écoute ton cœur, il n’y aura pas d’erreur », ou : « Je suis l’experte pour mon bébé », ou toute phrase qui vous fera du bien.
Comment j'explique cette période aux personnes qui ne sont pas dedans ?
Pour moi, elle me fait penser au « complexe du homard » de Dolto : pour grandir, le homard doit quitter sa vieille carapace et en prendre une nouvelle, mais le temps qu'il se fabrique la suivante, il est fragile, n'a plus de solidité.
Au moment de la naissance, c'est comme si la maman perdait sa carapace. Les hormones la rendent hypersensible à son bébé, mais elle l'est donc à tout le reste, et c'est pourquoi les paroles blessantes entrent en elle comme dans du beurre. A l'arrivée du petit, toutes les briques sont là, mais il faut monter le nouveau mur en intégrant celui-ci (le couple devient famille). Tout le monde sait qu'une période de restructuration est une période de fragilité, c'est pourquoi la mère a besoin de se sentir protégée, soutenue pour prendre soin de son petit.
Personnellement, je trouve que c'est la place que l'on peut proposer au papa (ce n'est pas pour des prunes que les adolescentes rêvent d'un homme fort-beau-intelligent !).
Anne Catteau,
animatrice LLL Flandres
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
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Bien aimé le passage proximité mère enfant même à des kilomètres. Je l'ai vécu et c'est vrai comme une sorte de sixième sens. Pendant que j'étais au coiffeur et que le papa le gardait et même pendant que je faisais les courses. L'allaitement c'est formidable pour les 2
Bonjour Claudia,
Le livre est bien signalé dans le dossier sur le sujet :
https://www.lllfrance.org/vous-informer/votre-allaitement/situations-particulieres/893-baby-blues-depression-maternelle-et-allaitement
Bonjour,
merci pour toutes ces ressources (et très d'accord avec le message précédent).
A ajouter à la bibliographie, un livre proposant des témoignages de mamans de l'association Maman blues : Tremblements de mères, le visage caché de la maternité.
http://www.linstantpresent.eu/fr/naissance/39-tremblements-de-meres.html
Bien cordialement
Claudia
Bonjour,
Merci pour ces explications et conseils.
Je note néanmoins le passage suivant comme du sexisme ordinaire, que l’on voit dans quasi tous les articles de sois-disant soutien aux nouvelles mères et qui me fais m’arracher les cheveux à chaque fois:
« Accepter de se faire aider, même si ménage et repassage ne sont pas fait comme on avait l’habitude... »
Il sous entend que
1. Les mères sont celles qui font ces taches habituellement
2. Les mères ou la plupart d’entre elles sont attachées à ce que ces tâches soient faites par elles memes, et à leur manière (en quelque sorte, ne savent pas déléguer cette charge mentale)
3. Les mères on besoin d’une sorte de lâcher prise pour accepter que leur mari/moitié/une tierce personne s’occupe de ces tâches: cette action ne viendrait donc naturellement pas à l’idée de la dite personne. Grosso modo, les pères sont incapables de se mettre d’eux même à effectuer ces tâches.
Je trouve cette petite phrase anodine affligeante, et encore plus parce qu’on la voit vraiment partout.
Cordialement,
Une mère en plein baby blues.
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