Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement n° 31, avril-mai-juin 1997.
D'après : Nipple vasospam in the breastfeeding woman. L Lawlor-Smith, C Lawlor-Smith. B Rev, may 1996, 37-39. Et : A Eglash. Case Report. ABM News and views, vol 2, n° 1, 4, 1996.
Jusqu’à récemment, le vasospasme du mamelon était décrété être psychosomatique. Ce n’est qu’en 1992 que certains auteurs ont commencé à suggérer que ce problème pourrait être une variante de la maladie de Raynaud. Cette dernière est une ischémie intermittente due au vasospasme des capillaires. Elle peut être primaire lorsqu’il n’existe aucune pathologie sous-jacente, ou secondaire lorsqu’elle est provoquée par une maladie auto-immune ou conjonctive. Elle affecte principalement les extrémités du corps (pieds, orteils), et touche jusqu’à 22 % des femmes âgées de 21 à 50 ans. Classiquement, elle se traduit par des modifications triphasiques de la couleur de la peau : blanchissement dû au vasospasme, puis cyanose due au manque local d’oxygène, et enfin rougissement dû à la dilatation réactionnelle des capillaires. Cet enchaînement est observé chez les 2/3 des patients, la première phase étant constante. Le vasospasme s’accompagne souvent de manifestations douloureuses telles qu’engourdissement, brûlure, fourmillements...
De telles manifestations sont particulièrement pénibles au niveau des mamelons. Les troubles peuvent être déclenchés par le froid ou le stress. Les principales causes des problèmes de mamelons douloureux sont une mise au sein incorrecte et les problèmes de succion chez le bébé. Ces causes peuvent aussi provoquer le blanchissement du mamelon, ce qui peut faire penser à tort à un vasospasme. Il sera donc prudent de ne poser ce diagnostic qu’en présence d’un faisceau de symptômes : déclenchement au froid, modifications triphasiques de couleur du mamelon, et après avoir soigneusement vérifié la position de l’enfant au sein et la qualité de sa succion.
Le traitement de ce problème est délicat. Éviter l’exposition au froid représente la première étape. Il faut noter que, chez certaines mères, même l’exposition au froid d’une autre partie du corps peut induire un vasospasme réflexe des mamelons. Il sera utile de recommander aux mères d’éviter le froid en général, et de toujours veiller à mettre leur bébé au sein dans un endroit suffisamment chaud. Lorsque le vasospasme survient, l’application immédiate de chaleur pourra le faire céder rapidement (tissu chaud, bouillotte, douche chaude...). Le tabac devrait être proscrit : le fait de fumer ne serait-ce que 2 cigarettes par jour peut augmenter de 100 % la résistance vasculaire, et diminuer de 40 % le flux sanguin capillaire. La caféine peut exacerber la maladie de Raynaud chez certaines femmes, car son effet primaire vasodilatateur est suivi d’un important effet vasoconstricteur rebond. La pratique d’un exercice physique modéré et régulier peut améliorer la situation à long terme. La prise de calcium et de magnésium peut aussi s’avérer efficace, bien qu’aucune étude n’ait jamais été effectuée sur leur impact. La consommation d’huiles insaturées a aidé certaines mères. Si l’efficacité de toutes ces mesures n’a jamais été testée scientifiquement, elles ont au moins l’avantage de ne présenter aucun danger ni pour la mère, ni pour le bébé. Elles peuvent même améliorer son état de santé et son équilibre nutritionnel.
Toutefois, si elles s’avèrent souvent efficaces, les mesures ci-dessus demandent un certain délai avant que leur effet ne se manifeste. La mère pourra souhaiter être soulagée rapidement en cas de douleur importante. Parmi les médicaments étudiés, la nifédipine (Adalate®, Nifédipine Ratiopharm®), un inhibiteur calcique de la famille des dihydropyridines, s’est avéré le plus efficace. Moins de 5 % de la dose ingérée par la mère se retrouve dans le lait, ce qui ne semble pas susceptible de poser des problèmes chez le bébé allaité. Par contre, jusqu’à 1/3 des femmes présentent des effets secondaires dus à la vasodilatation périphérique (céphalées, œdèmes, tachycardie, rougeurs du visage, hypotension...). Il sera donc préférable de commencer le traitement par une dose faible, telle que 5 mg 3 fois/jour, en augmentant graduellement jusqu’à obtention du résultat souhaité.
Premier cas
Cette mère allaitait son premier enfant, et l’allaitement s’est bien déroulé jusqu’au moment où l’enfant a atteint 8 semaines. La mère a commencé à avoir les mamelons douloureux, principalement du côté gauche. La douleur est survenue pour la première fois à l’occasion d’une tétée nocturne. Après la tétée, la mère a remis son bébé dans son berceau, et elle est retournée se coucher. Environ 5 minutes après s’être remise au lit, elle a commencé à ressentir une douleur intense dans les mamelons ; ces derniers sont devenus blancs, durs et très douloureux pendant plus de 5 minutes. La douleur a progressivement cédé ensuite, les mamelons reprenant un aspect normal.
Ces crises se sont reproduites de plus en plus fréquemment. Elles survenaient entre 10 et 20 minutes après les tétées, et duraient 1 à 2 heures. La seule chose qui soulageait tant soit peu la douleur était le fait d’appuyer fermement un gant bien chaud sur le mamelon. Au début, la mère ne s’était pas trop inquiétée, mais devant l’augmentation de la fréquence des crises, elle a contacté une consultante en lactation. Le bébé présentait un muguet, et une candidose mammaire a été envisagée et traitée, sans que cela atténue la douleur ressentie par la mère. Après 8 semaines pendant lesquelles les symptômes s’étaient aggravés, ils ont commencé à s’atténuer progressivement, pour finir par disparaître quasiment totalement. La mère a de nouveau présenté quelques épisodes de vasospasme alors que son bébé était âgé de 9 mois, mais la douleur était nettement moins intense.
La mère a accouché de son second enfant alors que le premier était âgé de 20 mois. À nouveau, l’allaitement s’est déroulé sans problème pendant les premières semaines, puis les crises de vasospasme ont réapparu. L’évolution a été similaire à ce qu’elle avait été pendant le premier allaitement.
Second cas
Une femme de 24 ans, primipare, a été vue 9 semaines après son accouchement pour un problème de mamelons douloureux. Elle était par ailleurs en bonne santé, la grossesse s’était bien passée, ainsi que l’accouchement. Elle n’avait pas reçu d’antibiotiques en période pré ou postnatale. La douleur avait débuté environ à J7. Elle était à type de brûlure, avec irradiation à l’intérieur du sein. Elle s’accompagnait de changements de couleur du mamelon, qui passait du rose au blanc, puis au bleu, avant de reprendre une couleur normale. Les épisodes douloureux survenaient après les tétées et, parfois, entre les tétées, les seins restant de toute façon sensibles entre les tétées. L’application de compresses chaudes ne soulageait pas la douleur.
Il n’y avait aucun antécédent particulier. La mère ne fumait pas, et ne consommait que très occasionnellement des médicaments. Elle n’avait pas perdu de poids, ne présentait ni urticaire, ni arthralgies, ni chute de cheveux, ni fatigue particulière, et rien ne permettait d’évoquer chez elle une maladie de Raynaud. Elle n’avait aucun antécédent familial de collagénose. À l’examen clinique, les mamelons étaient roses, sans crevasse ni érosion. Pendant l’examen, on a pu observer un blanchissement des mamelons, puis une légère cyanose, avant un retour à la coloration normale. La mère n’avait pas amené son bébé, et il a donc été impossible d’observer une tétée.
Tous les examens de laboratoire pratiqués ont été négatifs. Après discussion avec un rhumatologue au sujet de la similitude des troubles présentés avec ce qui est observé lors d’une maladie de Raynaud, on a prescrit à la mère de la nifédipine (Adalate®, 30 mg 1 fois par jour). Les symptômes se sont alors rapidement améliorés, la mère ne souffrant plus que de 2 à 3 épisodes par semaine, beaucoup moins douloureux. Le bébé n’a présenté aucun effet secondaire. La mère a poursuivi le traitement pendant 3 mois, puis l’a arrêté sans réapparition du problème.
Il existe très peu de littérature médicale sur le vasospasme du mamelon. Étant donné que la maladie de Raynaud est relativement fréquente chez les femmes, qu’il y ait ou non collagénose, il ne semble pas déraisonnable d’attribuer à cette étiologie ce type de douleur des mamelons. Cette possibilité est à envisager devant toute femme se présentant avec une histoire de mamelon douloureux ; les signes d’un vasospasme du mamelon devraient être recherchés systématiquement, de préférence après une tétée. Il serait très utile d’en savoir davantage sur ce phénomène.
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