Dossier du n° 76 d'Allaiter aujourd'hui, LLL France, 2008
Devenir mère quand on a un handicap, ça ne va pas de soi.
Une femme handicapée qui désire avoir un enfant se heurte en effet à pas mal de préjugés tenaces, de peurs, de tabous…, tant de la part de son entourage que de celle des professionnels de santé (1).
Ne risque-elle pas de transmettre son handicap à l’enfant ? Arrivera-t-elle à mener une grossesse et à accoucher ? Sera-t-elle capable de s’occuper d’un enfant ? Autant de questions que lui renvoie sans cesse le regard de l’autre.
Si elle est néanmoins enceinte et qu’elle dit vouloir allaiter, beaucoup, là aussi, vont essayer de la décourager. Cela risque de la fatiguer inutilement, mieux vaut qu’elle laisse les autres s’occuper du bébé. Et de toute façon, avec son handicap, l’allaitement risque d’être difficile. Pourquoi s’embêter avec ça ? Etc.
Les avantages
En fait, en plus de tous ses avantages bien connus pour la santé de l’enfant et de sa mère, l’allaitement présente des bénéfices particuliers pour la mère handicapée.
Tout d’abord, avec l’allaitement, la mère fait quelque chose que personne d’autre ne peut faire pour son bébé, ce qui ne peut que renforcer son estime de soi, sa confiance en elle en tant que mère, et le lien avec son bébé. Et ce d’autant plus que son handicap lui interdit peut-être beaucoup des soins à son bébé. Comme le dit Florence : « L’allaitement m’a aidée à créer un lien avec mon fils, car là, personne ne pouvait me remplacer. »
Ensuite, le fait même de réussir à allaiter est souvent considéré comme une réparation par rapport à un corps vécu comme « pas capable ». C’est ce qu’expriment certaines des mères qui témoignent dans les pages suivantes, quand elles disent : « Je reste ébahie de voir ce que mon corps arrive à faire. » Ou : « Tout cela, mon corps meurtri pouvait le faire. »
Enfin, l’allaitement peut être important dans leur cas en ce qu’il évite de la fatigue (ne serait-ce que parce qu’on peut allaiter couchée), du stress, ou est plus commode que le biberon : une femme sans bras ne peut ni préparer ni donner de biberons, mais elle peut allaiter (lire cet article des DA).
Les défis
Bien sûr, allaiter avec un handicap va nécessiter, selon la nature de celui-ci, des ajustements particuliers, des astuces, une aide plus importante.
Par exemple, une mère aveugle aura besoin d’aide pour les premières tétées, pour apprendre à mettre le bébé au sein dans une bonne position, savoir se rendre compte s’il tète correctement, etc. Par la suite, si elle doit utiliser un tire-lait, quelqu’un devra l’initier à son maniement (démontage et remontage notamment).
C’est là qu’on mesure l’importance du soutien d’où qu’il vienne : de professionnels de santé compétents (très important pendant le séjour à la maternité, pour un bon démarrage), d’autres mères dans la même situation (voir le rôle du groupe de mères aveugles à la PMI du Bd Brune). Et plus que tout peut-être, le soutien sans faille du papa, sans qui, dit Sylvie, « j’aurais peut-être baissé les bras et qui a été pour moi une aide précieuse ».
Comme n’importe quelle autre mère
En conclusion, je voudrais dire que dans la plupart des cas, les questions et les interrogations d’une mère handicapée par rapport à l’allaitement sont les mêmes que celles de n’importe quelle autre mère. Comme le dit Delphine, « une femme handicapée est confrontée aux mêmes difficultés et aux mêmes facilités que toute autre femme ».
Quand l’allaitement échoue, ce n’est généralement pas à cause du handicap, mais parce que la femme n’a pas eu l’information et le soutien basiques.
Et quand ça marche, c’est au contraire parce que la femme, telle Florence, a su chercher et trouver cette information et ce soutien.
CDJ
(1) Au point que beaucoup s’interdisent la maternité, quand elles n’ont pas été carrément interdites de maternité, comme Nathalie, handicapée moteur et stérilisée sur décision de ses parents (voir le documentaire de Diane Maroger, Maternité interdite, 2002).
L’allaitement par la mère est plus fréquent chez les mères aveugles, et cela non seulement par rapport aux difficultés dans le maniement du biberon, mais parce que cette forme d’allaitement permet un surcroît d’attention en raison de la proximité corporelle du bébé. L’allaitement prolonge les sensations de la grossesse, fait bénéficier la mère d’un échange olfactif mutuel avec son bébé et contribue malgré sa cécité à la conforter dans son statut de mère. Ces allaitements se prolongent au-delà de la première année.Edith Thoueille, Drina Candilis, Michel Soulé, Martine Vermillard, La maternité des femmes aveugles, La psychiatrie de l’enfant 2006 ; 49(2) : 285-348
A lire
- Traité de l’allaitement maternel, LLLI, p. 528-540.
- Aider la mère malvoyante, Dossiers de l’allaitement n° 59, avril-mai-juin 2004, p. 10-13.
- Delphine Siegrist, Oser être mère. Maternité et handicap moteur, éditions Doin/AP-HP, 2003.
A écouter
Pour les mères aveugles et malvoyantes, L’Art de l’allaitement maternel existe sous forme de onze cassettes audio (et bientôt en CD). S’adresser à la SPS (Société de promotion sociale), 56, Bd des Invalides, 75007 Paris, 01 44 49 35 56 (permanences téléphoniques les mardis, mercredis et vendredis de 14 h à 17 h 45).
A voir
Oser la maternité, un film de Gilles de Maistre et Marie-Claire Javoy, qui suit plusieurs mères handicapées (dont Florence), de la fin de la grossesse à la première bougie de l’enfant. Diffusion prévue sur France 3 en septembre prochain.
Pour les mères sourdes et malentendantes, Médialactée (3, rue Caudron, 80000 Amiens, 03 22 71 00 71, www.medialactee.com) prévoit d’éditer ses DVD avec un doublage en langue des signes.
Rencontres
A Paris, Edith Thoueille accompagne depuis des années les mères et futures mères aveugles et malvoyantes. Des groupes de parole ont lieu une fois par mois. UPPHV (Unité périnatale parents handicapés visuels), 26 Bd Brune, 75014 Paris, Tél : 01 40 44 39 03.
Les réunions LLL sont bien sûr ouvertes à toutes les mères. Pour les mères sourdes et malentendantes, il est possible de se faire accompagner d’une interprète en LSF. Certains groupes peuvent organiser des réunions spéciales suite à une demande.
Des rencontres, des échanges, se font aussi sur Internet (par exemple le forum Mamans handicapées de Doctissimo).
Consultations
Certaines PMI ont des consultations en LSF, soit que des membres du personnel (médecins, psychologues, auxiliaires de puériculture…) sachent signer (c’est le cas de la PMI sise 5, rue de l’Epée de bois, 75005 Paris, 01 45 87 90 84), soit qu’elles recourent aux services d’une interprète en LSF (par exemple la PMI des Découvertes, à Noisy-le-Sec, dans le 93, 01 49 42 67 22)
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