Pour les chiffres dix ans après (2013), voir Les derniers chiffres de l'allaitement en France
Parler d’épidémiologie de l’allaitement maternel en France, c’est constater à la fois :
- une spécificité : le taux d’allaitement français est l’un des plus bas au monde,
- une ressemblance : la répartition sociale et géographique de l’allaitement chez nous est assez semblable à ce qu’elle est dans d’autres pays industrialisés.
Un taux de démarrage très bas, mais néanmoins en augmentation
Les chiffres français « officiels » sur l’allaitement se limitent à peu de choses : le dépouillement des certificats de santé du 8e jour et les enquêtes périnatales.
Le dernier chiffre fourni par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) concerne l’année 2002, et il est de 56,2 %.
À titre de comparaison, rappelons que le taux d’allaitement à la naissance est de 99 % en Norvège et en Suède, de 98 % en Hongrie, de 95 % au Danemark, de 92 % en Suisse, de 85 % en Italie, de 75 % en Allemagne, de 69 % en Grande-Bretagne.
Les raisons de ce « retard » sont sans doute multiples : poids de l’histoire (importance du phénomène des nourrices), rôle de l’industrie agro-alimentaire, manque de formation des professionnels de santé…
Il faut quand même noter que depuis quelques années, ce taux d’allaitement augmente, lentement mais régulièrement : 45,6 % en 1995, 48,8 % en 1997, 50 % en 1999, 52,3 % en 2000, 54,5 % en 2001.
On s’est interrogé sur la fiabilité de ce chiffre. Ne serait-il pas surestimé (inclusion de bébés déjà pratiquement plus allaités, remplissage du certificat en salle d’accouchement) ? Certains indices laisseraient à penser que c’est en fait peut-être l’inverse. Ainsi, pour 2000, la DREES donne un taux de 61,2 % en Seine-Saint-Denis, alors que le Conseil Général de ce même département se targue d’un taux de 71,1 %. L’explication serait que la première calcule sur les CS8 reçus (qu’ils soient ou non renseignés) et assimile les non-réponses à un non-allaitement, alors que le second calcule sur les certificats de santé renseignés.
On dispose d’autres chiffres « officiels » : ceux des trois enquêtes périnatales de 1981, 1995 et 1998. Leur intérêt, par rapport à ceux tirés des CS8, est de différencier l’allaitement exclusif de l’allaitement mixte. En 1998, le pourcentage d’allaitement mixte était de 7,5, celui de l’allaitement exclusif de 45. Ce qui donne 52,5 % de bébés allaités, un chiffre supérieur aux CS8 (48,3 %).
Une répartition géographique très inégale
Si l’on regarde les chiffres département par département jusqu’à l’an 2000 (ils ne sont pas encore disponibles pour 2001), on s’aperçoit que la progression se retrouve dans presque tous les départementaux. Quelques exemples : entre 1998 et 1999, le taux passe de 43,9 % à 50 % dans la Meuse, de 41,2 % à 45,8 % dans l’Aude, de 37,7 % à 43,7 % dans l’Aveyron, de 52,8 % à 56,2 % dans la Drôme, de 49,4 % à 54,6 % en Haute-Garonne, de 36,5 % à 43,3 % dans la Marne, de 39,2% à 47,7% en Haute-Marne.
Certains départements connaissent, à la suite de campagnes de promotion, des hausses spectaculaires. C’est le cas du Morbihan, où le taux d’allaitement à 8 jours passe de 27 % en 1997 à 46,7 % en 2001.
Mais ce qui frappe, ce sont bien les grandes différences d’un département à l’autre, d’une région à l’autre. En simplifiant, on peut dire qu’on allaite plus à l’Est qu’à l’Ouest, et plus au Sud qu’au Nord. C’est ainsi que le taux est de 62,3 % dans le Haut-Rhin et de 34,3 % dans le Calvados, de 60,5 % dans les Alpes Maritimes et de 31,8 % dans le Pas-de-Calais (47,4 % dans le Nord).
Ce qui est intéressant, c’est que cette répartition géographique inégale ne date pas d’hier. Déjà à la fin du XIXe siècle, on notait un taux d’allaitement plus faible dans le Nord et l’Ouest. L’allaitement artificiel en Normandie semble une pratique ancienne : sur 9611 enfants nés en 1865 dans le Calvados, un tiers étaient nourris au biberon. De même, l’allaitement artificiel dans les grandes villes industrielles du Nord était une pratique bien connue des contemporains. A Lille en 1877, seulement 50 % des mères allaitaient (1).
Combien de temps allaite-t-on ?
Depuis quelques années, les certificats de santé du 9e mois comportent bien une question sur l’allaitement et sa durée. Mais ils sont généralement si mal renseignés qu’ils sont inexploitables au niveau national.
Néanmoins, en 2000, la CoFAM (Coordination Française pour l’Allaitement Maternel) a recueilli des données auprès des Conseils généraux. Les chiffres fournis par huit départements étaient exploitables et montraient qu’à 8 semaines, 50 % des bébés allaités étaient sevrés, et qu’à 12 semaines, 70 % étaient sevrés (chiffres de 1998).
En 2002, La Leche League France a commandé un sondage à un institut de sondage, l’Institut des mamans, sondage dont une question portait sur la durée de l’allaitement (2). Les réponses indiquaient des durées d’allaitement plus longues que prévues et en augmentation régulière sur les trois années considérées. Pour 2001, il y avait 13,54 % d’allaitements de moins de 1 mois, 26,15 % entre 1 et 3 mois, 28,62 % entre 3 et 6 mois et 20,62% entre 6 mois et 1 an. A 3 mois, 60,3 % des bébés allaités à la naissance étaient encore allaités, contre seulement 37,6 % en 1999.
Rappelons que les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé sont d’allaiter exclusivement pendant six mois, puis d’introduire des aliments complémentaires de qualité tout en poursuivant l’allaitement jusqu’à l’âge de 2 ans ou au-delà (3), que l’ANAES recommande elle aussi un allaitement exclusif de six mois (4), et qu’en Norvège, si 99 % des bébés sont allaités à la naissance, 86 % le sont toujours à 3 mois, 68 % à 6 mois et 42 % à 9 mois.
Une pratique socialement différenciée
Je reprends ici le titre d’un article (5) de la chercheuse de l’INRA Séverine Gojard qui a fait une enquête en 1997 dans le Val-de-Marne montrant que l’allaitement n’est pas également répandu selon les catégories sociales.
C’est ainsi que lorsque leur conjoint est cadre supérieur, les deux tiers des femmes allaitent, alors qu’elles ne sont que 53 % lorsqu’il est employé, et à peine la moitié lorsqu’il est ouvrier. De même, 70 % des femmes cadres supérieurs allaitent ou ont allaité leur plus jeune enfant, pour 52 % des femmes ouvrières ou employées.
Pour ce qui est du diplôme, les femmes non diplômées allaitent autant que la moyenne. Celles qui sont titulaires d’un niveau de diplôme moyen allaitent nettement moins que la moyenne. La fréquence de l’allaitement remonte ensuite fortement à mesure que le niveau d’études augmente.
Cette différence selon le diplôme et la CSP se retrouve pratiquement dans toutes les études sur le sujet (6).
Les autres facteurs associés à l’initiation et la durée de l’allaitement sont : l’âge maternel (les mères plus âgées allaitent davantage et plus longtemps), l’origine géographique (les femmes qui ont passé leur enfance dans un pays étranger hors de l’Europe allaitent plus souvent que celles qui ont été élevées en France ou en Europe), l’histoire personnelle (les femmes qui ont elles-mêmes été allaitées allaitent davantage), l’attitude du père (quand le père est favorable à l’allaitement, les femmes allaitent plus et plus longtemps)…
Je voudrais pour conclure dire un mot de cet apparent paradoxe : ce sont les femmes les plus diplômées et les plus aisées qui allaitent le plus, alors qu’on pourrait penser que ce ne sont pas elles qui en ont le plus besoin économiquement.
L’explication qui vient d’abord est que ce sont elles qui ont le mieux accès à l’information (sur les avantages de l’allaitement pour la santé et pour la relation) et au soutien (par les associations d’aide à l’allaitement).
Mais l’enquête de l’anthropologue et médecin de santé publique Bernadette Tillard dans la population d’un quartier défavorisé de Lille (quartier de Moulins), montre que les raisons du non-allaitement dans ces milieux sont plus profondes : pour les femmes qu’elle a rencontrées, la « gratuité » du lait maternel n’est pas un argument pour allaiter, bien au contraire. Perçu comme un « mode d’alimentation incertain » (notamment par manque de tradition familiale), l’allaitement empêche aussi de « préparer l’événement » par « l’achat d’objets appropriés : pas de biberon, pas de stérilisateur, pas de chauffe-biberon… ». N’entrant pas « dans la dimension consumériste de la grossesse », l’allaitement est mal perçu par ces familles qui souhaitent « le mieux » pour leurs petits, même au prix de sacrifices financiers (7).
Une politique de promotion de l’allaitement maternel, si elle devait voir le jour chez nous, devrait prendre en compte tous ces paramètres.
(1) Voir l’article de Catherine Rollet, Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile en France à la fin du XIXe siècle, Population n° 6, 1978.
(2) L’enquête a eu lieu entre août et septembre auprès d’un échantillon représentatif de 1177 mères et futures mères. On peut consulter ses principales conclusions à l’adresse : www.institutdesmamans.com
(3) Résolution sur l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (WHA54.2), mai 2001
(4) Allaitement maternel. Mise en œuvre et poursuite dans les six premiers mois de vie de l’enfant, mai 2002, www.anaes.fr
(5) Séverine Gojard, L’allaitement ; une pratique socialement différenciée, Recherches et prévisions 1998, n° 53, p 23-34.
(6) Voir par exemple : Branger B et al., Facteurs influençant la durée de l’allaitement maternel chez 150 femmes, Arch Pédiatr 1998 ; 5 : 489-96 ; Crost M et Kaminski M, L’allaitement maternel à la maternité en France en 1995. Enquête nationale périnatale, Arch Pédiatr 1998 ; 5 : 1316-26 ; Scott JA, Factors associated with the initiation and duration of breastfeeding : a review of the literature, Breastfeeding Review 1999 ; 7(1) : 5-16.
(7) Bernadette Tillard, Ce qu’il en coûte de nourrir…, in Allaitements en marge, L’Harmattan, 2002.
Bonjour,
J'ai eu la chance, très rare, de devenir mère, lorsque j'en ai vraiment éprouvé le désir profond en ayant acquis un niveau de maturité psychique supérieur à celui atteint par la moyenne des personnes lorsqu'elles deviennent parent-e-s. Et pourtant, comme toutes les femmes, j'en ai subi des pressions pour faire des enfants avant d'en avoir moi-même envie et de me sentir vraiment prête à assumer cette responsabilité colossale. J'ai beaucoup de caractère. Et, étant à la fois, féministe, très critique vis à vis de la place que nos sociétés patriarcale réservent aux enfants (au moins 2 meurent chaque jours en France sous les coups de leurs parents), et écologiste radicale qui a conscience du fait que la surpopulation humaine joue un rôle déterminant dans la dégradation de notre planète, j'ai résisté à toutes ces pressions, partant du principe qu'il vaut mieux ne pas faire d'enfant, plutôt que d'en faire dans de mauvaises conditions pour se soumettre aux multiples injonctions patriarcales, mortifères et contradictoires dont nous sommes sans cesse bombardées. A 36 ans, après avoir exclus de mon entourage un grand nombres d'individus toxiques (à commencer par des membres de ma propre famille), après avoir soigné mes blessures psychiques, après avoir suivi un long chemin qui m'a permis d'assumer ma joie d'être un organisme vivant doté d'une vie psychique qui, grâce à sa chaire vivante et mortelle, est reliée à l'univers dans lequel elle évolue (autrement dit, la joie d'être un animal, et dans notre cas précis une primate et donc une mammifère) - c'est à dire le contraire exacte d'une chose, sachant que le système patriarcal via de nombreuses violences traite les femmes et les enfants, non pas comme des animaux mais comme des choses, après avoir évalué le fait que mon compagnon et moi étions devenu-e-s prêt-e-s à accueillir une nouvelle personne dans notre foyer, j'ai éprouvé un profond désir de devenir une mère. N'ayant pas l'esprit contaminé par les préjugés d'origine créationniste qui tendent à amputer les humain-e-s de leur propre animalité et a leur inspirer de la haine vis à vis de la chaire, en particulier de la chaire féminine, j'étais déjà et je suis encore en paix avec mes glandes mammaires et celles des autres femmes. Donc, allaiter mon future bébé était évident pour moi. ayant conscience que les bébé ont leurs instincts intacts à la naissance, mais que l'instinct maternel n'existe pas chez les humaines, j'ai vite compris qu'il fallait que je m'informe et que je me prépare à l'allaitement pour ne pas échoué dans mon projet. Durant ma grossesse j'ai rassemblé un grand nombre d'informations et je les ai partagés avec mon compagnon. Tout ne s'est pas passé exactement comme je l'espérais, notamment à cause des l’incompétence d'une partie du personnel (pro-biberon) de l'hôpital où j'ai accouché, et aussi parce que ma fille est née avec 1 mois et demi d'avance. Mais nous nous sommes battues côte à côte elle et moi et avec le soutien de son papa, pour qu'elle puisse finir par téter directement à mon sein après 3 mois et demi passés à tirer mon lait toutes les 3 heures. A partir de ce moment-là, je me suis rendue compte à quel point nous avions eu raison de persévérer. Quand on y arrive, allaiter son enfant est bien moins fatigant que de lui donner le biberon. C'est même très apaisant si on est installée confortablement. J'ai allaité ma fille jusqu'à ses 3 ans et demi. Les tétés se sont espacées très progressivement de façon naturelle et sans aucune difficulté. Mais si mon compagnon s'était comporté comme la plupart des hommes je n'aurais pas si bien réussi à allaiter mon enfant. En effet, vers la fin de ma grossesse, il s'est mis à accomplir, non plus seulement la moitié, mais la totalité des tâches ménagères, y compris la préparation des repas, et ce jusqu'aux 6 mois de notre fille. C'est lui qui changeait presque toujours ses couches, la mouchait, lui faisait sa toilette et l'habillait. Il me soutenait face aux personnes qui tenaient des propos irrespectueux vis à vis de notre démarche d'allaitement, exprimaient une gène, voir un insultant dégoût vis à vis de mes seins, où faisaient des allusions pornifiantes, voir avançaient la thèse masculiniste soutenue par le soit disant "docteur" Rufo selon laquelle l'allaitement maternel aurait quelque chose à voir avec l'inceste (et il y en a eu beaucoup). Ma fille n'a jamais eu besoin d'une tétine, elle n'a jamais été dépendante d'un doudou... Nous l'avons beaucoup portée, nous lui avons toujours beaucoup parlé, nous lui avons chanté de nombreuses chansons (dont "l'hymne des femmes" du MLF - elle l'adore !), elle a été bercée par les ronronnement de notre chat. Nous l'avons mise très tôt en contact d'autres enfants dans des lieux d'accueil municipaux consacrés aux enfants de moins de 6 ans et à leurs parents. Nous l'avons très tôt initiée à l'art sous presque toutes ses formes, etc... J'ai eu la chance d'avoir la malchance d'être au chômage, au début de ma grossesse, après une longue période de cotisation due à de multiples emplois et mon compagnon a bénéficié d'un congé parental. Nous n'avons donc pas été obligé-e-s de confier notre enfant prématurément. C'est nous qui avons été témoins de toutes ses premières fois (premier sourire, premiers rires, premiers pas, etc...). Aujourd'hui notre fille est une enfant globalement plus épanouie , plus éveillée, plus forte et en meilleur santé que la plupart des enfants que nous rencontrons. Elle a confiance en elle, une imagination débordante, une répartie étonnante, une ouverture d'esprit et une joie de vivre hors du commun. Contrairement à la plupart des enfants de son âge elle aime manger des plats sains et végétariens, des crudités, des légumes verts, etc... Elle gère mieux la frustration, l'attente et les séparations que la majorité des enfants de son âge que nous rencontrons. Elle a confiance en elle et elle manifeste de l'empathie, voir de la solidarité envers les êtres plus vulnérables qu'elle... Tout cela n'est pas dû uniquement au fait qu'elle a été allaitée naturellement, mais mon lait et mes seins y sont quand même pour quelque chose. En fait c'est un tout dans lequel l'allaitement maternel occupe une place centrale. Pour conclure ce long commentaire, je cite Gabrielle Petit qui a vécu entre 1860 et 1952. Elle était une pionnière du féminisme ouvrier, une pacifiste, autodidacte, anti-cléricale et une anarchiste infatigable, qui a fondé et dirigé le journal « La femme affranchie ». Dans une conférence donnée en 1908 à Montbéliard et rapportée par le « Socialiste comtois » du 6 décembre, elle déclara : « Mère consciente, j'ai voulu économiser plus de 1000 F avant de mettre mon enfant au monde, afin d'être à l'abri du besoin, afin de pouvoir le nourrir de mon lait, me consacrer entièrement à lui ». http://clas.pe.hu/spip.php?article4
Généralement, en France, on utilise les données des certificats de santé (8° jour, 9° mois et 24° mois) où il y a une question pour savoir si l'enfant est allaité. Et on reporte le nombre d'enfants déclarés comme allaités au nombre de naissances de l'année.
Il y a aussi des études (Elfe et Epifane), voir ici :
http://www.lllfrance.org/vous-informer/actualites/1722-que-disent-les-taux-dallaitement-francais
Comment calculer le taux des femmes allaitantes dans une population ?
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