Extrait du numéro 75 d'Allaiter aujourd'hui (avril-mai-juin 2008).
Mon allaitement a commencé bien avant que les bébés ne posent leur bouche pour la première fois sur mon sein.
Pour moi, il a commencé lorsque j’ai vu ma mère allaiter mes jeunes frère et sœur, et en faire des enfants beaux et épanouis.
Il a commencé quand nous l’avons évoqué avec mon mari comme un projet éducatif.
Il a commencé lorsque la sage-femme m’a montré, à huit mois de grossesse, que oui, j’avais du colostrum, et comment on le faisait jaillir du mamelon ensommeillé.
Bien sûr, mes certitudes ont un peu vacillé quand j’ai appris que j’attendais des jumeaux, d’autant plus que j’avais subi une opération de réduction mammaire une douzaine d’années plus tôt, ce qui pouvait constituer un obstacle supplémentaire à mon désir.
Mais je savais que l’essentiel tient dans la détermination de la maman. Et déterminée, je l’étais. Heureusement, car la mise en route ne fut pas facile !
Mes jumeaux, un garçon et une fille de 3,200 kg et 3,080 kg à la naissance, sont nés un vendredi 15 décembre après 36 h de travail. C’est donc une maman épuisée qui allait affronter l’épreuve de la mise en route.
Tout de suite, les enfants marquèrent leur différence de personnalité : ma fille pinçait davantage les lèvres en une succion plus douloureuse, plus superficielle, tandis que le garçon prenait bien toute l’aréole, mais avec une aspiration qui manquait de force.
Pour m’assurer que la montée de lait se faisait bien, je les ai gardés tout le temps avec moi, refusant scrupuleusement toute proposition de « complément » (on n’avait pas pris la peine de me dire qu’on pouvait le faire au verre, sans mettre en péril les réflexes de succion) ou qu’on me les prenne.
Le lundi, je n’étais plus qu’une loque... Et la montée de lait ne se faisait pas. Les bébés affamés se réveillaient toutes les heures ou deux. Ajoutez à cela les visites impromptues durant lesquelles vous vous voyez contraintes de vous dépoitrailler devant tout le monde (si vous allaitez simultanément, vous pouvez dire adieu à toute pudeur : les deux seins nus, exposés, ne vous laissent pas le choix).
C’est ce jour-là seulement que le pédiatre s’est aperçu que mon fils avait un « frein » à la langue. Une fois ce frein coupé, mon fils a fait preuve d’une puissance de tétée qui a probablement sauvé mon allaitement.
Je suis restée treize jours à la maternité, pendant lesquels j’ai vraiment dû lutter contre le travail de sape de presque tout le personnel.
Quand ma montée de lait s’est faite le lundi soir, une des auxiliaires de puériculture m’a dit : « Oh ! J’ai vu des seins bien plus gonflés ! » Ou, au moment de la pesée, la constatation navrée que les bébés n’avaient toujours pas repris de poids.
Surtout, j’attends toujours la sage-femme qui devait me montrer comment soigner mes seins et quelle position prendre pour allaiter des jumeaux simultanément ! Et ce n’est pourtant pas évident, particulièrement dans un lit d’hôpital étroit et vertigineusement haut (merci le méga-coussin d’allaitement fait maison) ! Bref, disons qu’heureusement que j’ai eu quelques soutiens inattendus, les sages-femmes de la PMI en visite, ma mère... Et puis, la découverte du plaisir d’une tétée les yeux dans ceux de son bout de chou, l’euphorie des montées de lait, la fierté de les voir déjà réussir un défi et d’y contribuer.
Puis ma fille a fait un séjour en pédiatrie pour une infection urinaire (cause d’ailleurs de sa non-reprise de poids !), service où la consigne de ne la complémenter (même si je continuais à l’allaiter toutes les quatre heures environ) qu’au verre est très vite passée aux oubliettes, comme j’ai pu le constater en la récupérant. Si bien qu’à la sortie de la maternité, ma fille était perdue pour l’allaitement exclusif ; en revanche, mon fils y parvenait bien.
Puis, peut-être au cours du deuxième mois, je me suis résignée, la mort dans l’âme, à passer à l’allaitement mixte pour les deux : ma fille s’épanouissait à vue d’œil tandis que mon garçon végétait.
Cependant, je m’accrochais à mon allaitement : je donnais toujours le sein avant le biberon, et en moyenne les enfants prenaient un biberon de moins par jour et 30 à 60 cc de moins par biberon que leur âge ne l’aurait exigé. Finalement, je laissais le quantitatif au biberon et j’assurais le qualitatif.
J’ai aussi essayé de nourrir tantôt l’un tantôt l’autre, mais cela ne fonctionnait pas car les enfants n’étaient pas forcément synchrones.
Et parfois, j’aurais dû enchaîner deux tétées tandis que la suivante se profilait quatre ou cinq heures plus tard. Par la suite, j’alternais la nuit : je gardais un bébé près de moi et le nourrissais, tandis qu’un membre de ma famille s’occupait de l’autre et lui donnait le biberon de nuit, ce qui m’assurait un meilleur sommeil, donc davantage de lait.
Il faut se trouver durant les premiers mois des alliés à la lactation : aliments (fenouil), compléments pharmaceutiques, sans s’arrêter à leur efficacité réelle. Comme la lactation est selon moi très psychosomatique, il suffit d’être persuadée que cela va être efficace pour que cela le soit (Pour le fenouil, voir la mise en garde ici : Galactogogues).
Le meilleur allié que j’ai eu est l’association locale de promotion de l’allaitement, qui organisait tous les quinze jours des réunions où se retrouvaient des mères allaitantes avec leur progéniture. Enfin, un espace de discussion où l’on sortait de son cercle familial, où l’on échangeait des conseils, tout en pouvant allaiter et sans craindre que ses bébés ne pleurent ! Grâce à ces mamans, je repartais toute remotivée pour donner le sein avec la possibilité aussi de projeter dans l’avenir ce lien, puisque les bébés allaités présents avaient jusqu’à 2 ans environ. Sans elles et mon mari qui m’encourageait, je crois que ma volonté se serait usée et que j’aurais peu à peu cessé de les allaiter.
Je me suis tenue à l’allaitement mixte jusqu’à l’introduction de la nourriture solide, qui s’est substituée aux biberons, à l’exception de celui du matin. J’ai pris pour habitude de manger moi-même l’aliment que j’introduisais dans leur repas, afin, entre autres, de les accoutumer au goût.
À l’heure actuelle, le biberon a complètement disparu, mes bébés eux-mêmes ont choisi de s’en passer : peu à peu, le biberon du matin a été laissé inachevé, puis inentamé, au profit du sein et d’un déjeuner solide.
C’est vrai que la plupart des mamans arrêtent l’allaitement quand il devient facile et agréable, c’est-à-dire entre le quatrième et le sixième mois. C’est à cette période que mes petits ont trouvé un équilibre, alternant tétées communes et tétées exclusives, chacune ayant son mérite : la tétée exclusive, c’est un moment très fusionnel et émouvant, la tétée à trois est plus festive, occasion de jeux (échange de sein, bataille de mains, éclats de rire, galipettes, gymnastique...).
Le plus confortable, pour cette tétée, c’est maman allongée sur le dos et les bébés en sphinx de chaque côté.
Ma reprise de travail comme la mise en nourrice n’ont heureusement pas mis fin à mon allaitement : une tétée le matin et une le soir à mon retour les jours où je travaille, et à la demande (et ils savent se faire comprendre !) quand je suis là.
J’ai parfois le sentiment que nourrir au sein est la panacée tant mes enfants se portent bien (j’ignore tout des bronchites, bronchiolites, gastro-entérites et même otites...).
De plus, la tétée permet un réveil en douceur de bébés comme de la maman, la consolation des petits et gros bobos, le soulagement des poussées dentaires, l’en-cas des petites faims ou soifs impromptues et le réconfort après les cauchemars ou les séparations.
Pour conclure, je m’interroge parfois sur ce que, du haut de ma sagesse rétrospective, j’aurais pu changer à cette aventure, et je crois qu’il m’aurait fallu simplement aborder tout cela avec plus de sérénité. Oui, la sérénité est finalement le maître mot. Espérons que c’est avec sérénité que j’affronterai la prochaine étape de mon aventure : le sevrage, qui se profile à l’horizon puisqu’ils viennent de fêter leur première année.
Florence (26)
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