Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 93 (LLL France, 2012) et n° 106 (LLL France, 2016).
L’expression « dormir comme un bébé » évoque l’image sereine d’un bébé dormant profondément et sans souci. Combien d’adultes en manque de sommeil envient ce « sommeil de bébé »... Mais si les bébés dormaient vraiment si bien, pourquoi y aurait-t-il tant de livres expliquant comment les entraîner à dormir différemment ? En fait, la plupart des nouveau-nés en bonne santé ne dorment pas tant que ça ; et ce sont les parents qui ont besoin d’aide pour s’adapter aux cycles de sommeil parfaitement normaux, mais à l’intermittence agaçante, de leur bébé.
On dort plus qu’on ne croit
Tout d’abord, examinons rapidement les croyances à propos du sommeil face à sa réalité. Les adultes oublient souvent combien de temps ils ont dormi quand ils se réveillent le matin. Selon un article paru dans le New York Times intitulé « Le complexe sommeillo-industriel » (« The Sleep-Industrial Complex »), « les insomniaques surestiment presque toujours le temps qu’ils ont mis à s’endormir et sous-estiment leur durée de sommeil ». Même certains spécialistes du sommeil ont tendance à évaluer le sommeil dans le cadre de leurs propres normes culturelles. Pour toutes ces raisons, les études qui s’appuient sur ce que les sujets étudiés ont dit de leur propre sommeil reflètent bien souvent davantage les croyances populaires en la matière que la réalité des faits.
L’écart de sommeil
Si les adultes sans bébé à s’occuper la nuit croient dormir moins qu’ils ne le font en réalité, il n’est pas étonnant que les nouveaux parents se sentent encore plus en manque de sommeil.
Cela peut expliquer qu’ils soient si nombreux à accepter avec enthousiasme le conseil d’amis ou de parents bien intentionnés consistant à donner au bébé un biberon de lait artificiel pour les aider à dormir plus longtemps la nuit.
Si vous pensiez qu’il pouvait y avoir un peu de vrai là-dedans, les résultats d’une récente étude vont sans doute vous surprendre. Les chercheurs ont mesuré objectivement les durées de sommeil de parents de bébés âgés de 3 mois, grâce à des moniteurs fixés au poignet. Les parents des bébés qui tétaient le soir et/ou la nuit dormaient 40 à 45 minutes de plus que les parents des bébés nourris au biberon. Et les parents de bébés allaités qui leur donnaient un biberon de lait artificiel le soir dormaient moins bien que ceux dont les bébés étaient exclusivement allaités. C’était vrai aussi bien pour les pères que pour les mères.
Si vous êtes sceptiques, laissez-moi vous guider à travers les comment et les pourquoi du démarrage de l’allaitement, avec ses tétées et réveils fréquents ; vous dire comment faire pour obtenir le plus possible de sommeil de qualité, et vous expliquer comment le mythe selon lequel le lait artificiel aide les bébés à dormir a pu se créer.
L’alimentation en continu
Pendant la grossesse, vous n’avez aucun travail spécial à faire pour nourrir votre bébé ; il vous suffit de manger vous-même sainement. Les nutriments dans votre circulation sanguine passent en continu à votre bébé par le cordon ombilical. Mais une fois le cordon coupé, les choses sérieuses commencent !
Cerveau contre estomac
L’intelligence humaine nous oblige à un compromis physiologique quand il s’agit de la naissance de nos bébés (on parle de « dilemme obstétrical »). Le bébé doit quitter l’utérus avant que sa tête ne soit trop grosse pour passer par le canal de la naissance. En conséquence, il vient au monde alors que son estomac est encore tout petit et immature.
Après la naissance, son cerveau a besoin d’une source continue de carburant, spécialement pendant les trois premiers mois, au cours desquels il réalise 25 % de sa croissance. Le bébé doit donc continuellement remplir son petit estomac pour alimenter son gros cerveau. On estime que les nouveau-nés tètent en moyenne pendant 20 à 50 minutes à chaque fois, environ 8 à 12 fois par 24 heures.
Un estomac qui grossit
Étant donné tout le temps qu’un nouveau-né met à se nourrir, on peut avoir l’impression qu’il y passe toute la journée et toute la nuit. Mais n’oubliez pas qu’il y passera moins de temps à mesure qu’il grandit et se développe. À la naissance, son estomac ne peut contenir que 5 à 7 ml de liquide (une cuillérée à café à une cuillérée et demie). Si vous essayiez de mettre 60 ml de lait dans son minuscule estomac juste après la naissance, il aurait la même impression que si vous essayiez d’ingurgiter neuf litres d’eau.
Normalement, il doit avoir stocké assez de graisses au cours du dernier trimestre de grossesse pour tenir les premiers jours après la naissance. Au moment où il émerge de l’environnement relativement stérile de votre utérus et arrive dans un environnement rempli de germes, la première chose dont il a besoin, ce sont les anticorps de votre lait. Courage ! En même temps qu’il apprend à se nourrir, son estomac va rapidement atteindre 11 fois sa taille d’origine. À J10, il pourra facilement contenir 60 à 80 ml. Mais votre propre estomac sera encore 13 fois plus gros que le sien. Donc n’essayez pas de le suralimenter pour qu’il dorme plus longtemps. Une mauvaise digestion risque de le réveiller encore plus fréquemment. En outre, une nourriture trop abondante risque de compromettre sa capacité à réguler son appétit, et de lui créer des problèmes de poids dans sa vie future.
Oiseaux de nuit
En plus des tétées fréquentes jour et nuit, les parents doivent aussi s’adapter au fait qu’à la naissance, les bébés sont plutôt des créatures nocturnes. Pendant votre grossesse, vous avez sans doute remarqué que votre bébé bougeait davantage la nuit que le jour, où vous étiez active. Une des explications est que le jour, il est bercé par vos mouvements, et qu’il s’active plus la nuit quand vous êtes tranquille.
Ma théorie personnelle, je l’ai élaborée quand la souris domestique de mon fils, Hannah, a eu une portée sept jours après qu’on l’a achetée (l’animalerie ne nous avait pas prévenus qu’elle était peut-être déjà « grosse »). Elle s’activait la nuit, fouillant pour trouver sa nourriture en laissant ses petits au nid. Ceux-ci tétaient plus dans la journée, pendant qu’elle dormait. Peut-être nos bébés sont-ils toujours programmés pour une époque d’avant l’agriculture ; une époque où nous passions probablement une bonne partie de la journée à chercher de la nourriture et où les bébés devaient se nourrir au moment où les seins étaient plus disponibles, à savoir la nuit.
Ne désespérez pas. La mélatonine, dont le taux augmente dans votre lait la nuit, va aider votre bébé à réguler son horloge naturelle et à dormir davantage la nuit. Il ne va pas rester un animal nocturne à jamais !
Un sommeil récupérateur
Si vous pensez que les adultes doivent obligatoirement avoir huit heures de sommeil ininterrompu, vous allez sans doute vous inquiéter d’être réveillée par votre nouveau-né affamé. Pourtant, les historiens affirment que jusqu’à il y a un siècle ou deux, les habitudes de sommeil dans la société occidentale n’étaient pas de huit heures de sommeil ininterrompu, mais plutôt de deux plages de sommeil avec une heure ou deux d’activité au milieu de la nuit. L’usage de la lumière artificielle nous a peut-être amenés à un schéma anormal consistant à condenser notre sommeil en une seule plage de huit heures, conséquence de l’augmentation de la période éveillée en soirée. Cela conduit beaucoup d’entre nous à croire, à tort, que ce sont nos bébés qui ont des schémas de sommeil anormaux.
Ne vous polarisez pas sur une longue plage de sommeil. Mettez plutôt en place des routines qui vous aident à vous sentir plus reposée. Après l’accouchement, votre corps est briefé pour engranger du sommeil récupérateur à partir de périodes de sommeil plus courtes. L’allaitement est un mécanisme extraordinaire, prévu pour aider votre corps à récupérer après l’accouchement et à maintenir sa résistance pendant que vous apprenez à materner votre bébé. Les tuyaux qui suivent vous aideront à démarrer l’allaitement et à avoir plus de sommeil récupérateur.
Proximité
Vous et votre bébé trouverez plus facile de synchroniser vos rythmes biologiques si vous êtes proches l’un de l’autre. Les adultes ajustent généralement leurs rythmes de sommeil quand ils partagent une chambre, il en sera de même pour vous et votre bébé. S’il est tout près de vous, vous allez vous habituer à tous ses petits bruits, et intuitivement, vous commencerez à émerger d’un sommeil léger quand il aura besoin de vous. Cela est beaucoup moins perturbant que d’être arraché d’un sommeil profond par un réveil.
Tous les soins au bébé, y compris le nourrir, seront facilités s’il est près de vous. La nuit, votre temps de réponse sera plus court s’il est tout près. Cela vous aidera aussi à vous rendormir plus facilement. Il aura confiance dans le fait que vous répondez à ses besoins, et risquera moins de vous réveiller par des cris stridents.
Sachez aussi que le fait pour le bébé de dormir dans la même pièce que vous diminue le risque de mort subite. Dans une étude, 36 % des cas de mort subite pouvaient être attribués au fait que le bébé dormait dans une pièce séparée.
Contact peau à peau
Pendant la grossesse, votre utérus fournissait à votre bébé chaleur et tout ce dont il avait besoin pour vivre et se développer. En en sortant, il doit s’adapter à un changement brutal de température, à l’exposition à la lumière et au bruit, et aux sensations sur sa peau. Lorsque sa peau entre pour la première fois en contact direct avec la vôtre, ce contact va stabiliser sa température corporelle, son rythme cardiaque et sa respiration. Il sera plus calme s’il est stable physiologiquement.
Lorsque votre peau entre pour la première fois en contact avec la sienne, vous avez une hausse du taux d’ocytocine. Pensez à l’ocytocine comme à votre « philtre d’amour ». Cette hormone facilite le processus d’attachement et vous aidera à être plus calme et relaxée. Ce premier contact peau à peau va également stimuler les réflexes de votre bébé pour se nourrir. Il va pouvoir tout seul se tortiller et ramper vers le sein. Le contact peau à peau prolongé va renforcer ces réflexes, lui permettant de s’adapter à la perte du flux de nutriments qui lui arrivait librement par le cordon ombilical.
Des tétées fréquentes
Il se peut que vos seins commencent à picoter dès que vous touchez, entendez, voyez votre bébé ou sentez son odeur. Cela peut s’intensifier quand il prend le sein. Vous pouvez commencer à vous sentir relaxée et somnolente à mesure que l’ocytocine est sécrétée. Cela ne veut pas dire que vous vous videz de votre énergie. Bien au contraire, cette sensation de relâchement va vous aider à vous reposer et à récupérer de l’accouchement, ainsi qu’à garder votre vigueur pendant que vous vous adaptez à la vie avec votre nouveau bébé. En quelque sorte, l’ocytocine fait double travail : c’est aussi pour vous un somnifère sans danger !
Chaque fois que le bébé tète, vous avez également un pic de prolactine. Plus il prend de lait, plus vite vos taux de prolactine vont grimper. Pensez à la prolactine comme à votre « produit dopant » pour la production de lait. De même qu’on fabrique plus de muscle si l’on s’entraîne régulièrement, de même vous mettrez plus vite votre lactation en route avec des tétées fréquentes et régulières que si vous sautez des tétées.
L’origine d’un mythe
Mais si des réveils et des tétées fréquents sont la norme biologique pour un nouveau-né, pourquoi tant de parents sont-ils convaincus que le lait artificiel va « améliorer » cette norme et aider leur bébé à dormir plus longtemps ?
Ce mythe a ses racines dans une époque où l’on décourageait activement les femmes d’allaiter, de se fier à leurs observations et de répondre aux besoins de leurs bébés. Les politiques et les pratiques consistant à séparer les mères et les bébés étaient institutionnalisées. Les hôpitaux imposaient des horaires de tétées rigides pour que le personnel ait moins souvent à nourrir les bébés ou à les amener à leurs mères. Ces tétées peu fréquentes privaient beaucoup de bébés d’un apport calorique suffisant, et beaucoup de mères de l’effet relaxant de l’ocytocine.
Si le bébé n’était pas autorisé à vider assez longtemps ni assez souvent les seins de sa mère, ceux-ci pouvaient devenir douloureusement engorgés. Tellement pleins de lait et tendus que les lèvres du bébé glissaient dessus. Frustré, il pouvait alors refermer ses mâchoires dessus, causant une douleur sévère à la mère. Au point qu’elle l’enlève du sein alors qu’il avait encore faim. Ses seins gorgés de lait envoyaient à son corps le message de ralentir la production. Si elle finissait par donner un biberon de lait artificiel au bébé, celui-ci pouvait finir par s’endormir, simplement parce qu’il avait enfin reçu sa ration de calories. Elle pouvait alors croire que le lait artificiel l’avait fait mieux dormir. Pourtant, il aurait pu dormir tout aussi bien s’il avait reçu ces calories par son lait à elle. En fait, ils n’avaient jamais eu la possibilité de se « synchroniser ».
Heureusement, nous sommes actuellement en train de revenir à des schémas d’alimentation et de sommeil plus normaux pour les bébés, même si encore trop de femmes ne reçoivent toujours pas le soutien dont elles auraient besoin pour bien démarrer l’allaitement et s’ajuster aux rythmes de leur bébé.
Susan E. Burger, MHS, PhD, consultante en lactation IBCLC
Références
1. Mooallen, J. The sleep-industrial complex. New York Times 2007 Nov. 18.
2. Doan, T. et al. Breast-feeding increases sleep duration of new parents. The Journal of Perinatal & Neonatal Nursing 2007 July/September ; 21 (3) : 200-206.
3. Illnerova, H. Buresova M. and Presl, J. Melatonin rhythm in human milk. Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism 1993 ; 77 : 838-841.
4. American Academy of Pediatrics. Section on Breastfeeding. Breastfeeding and the Use of Human Milk. Pediatrics 2005 ; 115(2) : 496-506.
5. McKenna, JJ and McDade, T. Why babies should never sleep alone : a review of the co-sleeping controversy in relation to SIDS, bed-sharing and breastfeeding. Paediatric Respiratory Reviews 2005 ; 6 :134-152.
6. Carpenter, RF. Igrens, LM. Blair, PS et al. Sudden unexplained infant death in 20 regions in Europe : Case control study. Lancet 2004 ; 363 :185-91.
À lire
- Les nuits du bébé allaité... et de ses parents, hors-série de Allaiter aujourd'hui, 2017.
Les nuits du bébé allaité et de ses parents
Des témoignages sur la réalité du sommeil des bébés... et des parents, l’endormissement, les tétées nocturnes, comment lâcher prise, comment faire en pratique, la philosophie du cododo, comment les choses ont évolué...
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- William Sears, Être parent la nuit aussi, Ligue La Leche (Canada), 1992.
Etre parents la nuit aussi
Edition de 2006 Ce livre explique aux parents les différences entre les types de sommeil du bébé et de l'adulte et leur redonne confiance en leur capacité de trouver eux-mêmes des solutions efficaces.
25,00 €
- Dossier Sommeil et nuits du bébé allaité
- Nathalie Roques, Dormir avec son bébé, L’Harmattan, 2002.
-Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, Le cododo, pourquoi, comment, Jouvence, 2018.
Le cododo, pourquoi, comment
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- Élisabeth Pantley, Un sommeil paisible et sans pleurs. Aider en douceur son bébé à dormir toute la nuit, AdA, 2006.
- Grandir autrement, hors-série n° 7 , « Le sommeil », avril 2011.
- Marie Levasseur, Mort subite du nourrisson et sommeil partagé : quelles informations donner aux patients ? Revue de la littérature et des recommandations internationales. Thèse de médecine, Lyon 1, 2012.
J'adore ! Merci mille fois.
Pour ces petites données quantitatives qui amènent beaucoup de réalité : taille de l'estomac du nouveau né...
Pour ces conseils... Pour ce soutient... Je me suis sentie comprise et tellement dans le vrai en vous lisant !
MERCI
Mais je suis un peu triste car trop peu de gens sont au courant de tout ceci et entre autre opte pour un complément au bib... Grrrrrrr
J'ai tenue et je tiens encore... Bb 3 quasi 10 mois et tête toujours la nuit...;) pas simple tout les jours...mais bon après vous avoir lu je re optimise !
Encore merci
:)
Article très intéressant ! Rassurant sur notre choix d allaiter ,et donne de bon argumente au détracteur de l allaitement.
Bonjour
Merci beacoup pour ces articles et vos efforts..
Enfin on retourne petit à petit à notre nature. .. et nos réflexes humaines. ..
L allaitement. .le portage ..et le cododo..
Ma fille m'a réveillée à 3 heures du matin toutes les nuits de sa naissance à ses deux ans. Et même lorsque j'ai repris le travail (je suis infirmière, ça me demande d'être physiquement très en forme car je fais des journées de 12h). J'allais au plus pratique : elle dormait avec moi, ainsi ni moi ni elle ne se réveillait réellement. On a donc pu tenir les deux ans sans problème jusqu'à ce quelle me dise un jour "non plus tétée" et quelle se retourne pour se rendormir ! Elle avait deux ans et ne m'a plus jamais redemandé le sein ! J'étais scotchée ! Quelques jours après : "je veux dormir dans un lit à moi" et voilà, je lui ai fait sa chambre avec son lit :) Aujourd’hui elle a 7 ans et elle dort dans un grand lit deux places car elle n'a jamais aimé les petits lits d'enfants hihi... elle s'y trouve trop à l'étroit :)
J'allaite mon bébé elle a bientôt six mois
Et de sa naissance a 1 mois son planning etait le même un rituel
Tétée 19h bain. ... tétée et 20h30 au lit réveillé ou endormi et pendant un mois, elle venait a 4h du matin ; après ses 1 mois c'était 7h, donc bébé allaité a fait ses nuits très tôt
Bonjour, merci pour ces détails. Je repetais la messe sans savoir d'où cela venait... "les bb au biberons dorment plus car le lait artificiel les calent". Maintenant je sais d'où cela vient! MERCI
article intéressant et bénéfique. ..
Bonsoir, merci pour vos explications vraiment très dur d'arriver à allaiter son bébé surtout quand personnes autour de vous ne vous comprends.merci à vous :):-)
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