D'après : Discrepancies in maternal reports of infant sleep vs actigraphy by mode of feeding. Rudzik AEF et al. Sleep Med 2018 ; 49 : 90-8.
De nombreuses études ont fait état d’une plus longue durée de sommeil nocturne chez les nourrissons exclusivement nourris au lait industriel par rapport aux enfants allaités, et lorsque les parents rapportent des réveils nocturnes chez leur bébé allaité, on leur recommande souvent de donner des biberons. Cependant, la majorité des études évaluant le sommeil des enfants se fondent sur les réponses des parents à des questionnaires, et partent donc du principe que les parents fournissent des données objectives, et que si ce n’est pas le cas, les données sont biaisées dans le même sens, les erreurs ayant donc peu d’importance. Pourtant, les divergences entre la perception des personnes concernées et la réalité objective sont bien connues lorsqu’on fait des études chez les adultes. Le but de cette étude anglaise était de comparer le sommeil d’enfants exclusivement allaités ou exclusivement nourris au lait industriel, ainsi que les réponses des parents versus une analyse objective du sommeil de l’enfant en fonction de son alimentation.
Elle a été menée auprès de mères qui avaient accouché à terme d’un singleton en bonne santé, et qui souhaitaient soit allaiter exclusivement, soit donner exclusivement un lait industriel pendant les 18 premières semaines post-partum. Parmi les 283 femmes éligibles, 61 ont accepté de participer. À 1 mois post-partum, elles ont répondu à un premier questionnaire pour collecte de données démographiques et socioéconomiques. Par la suite, les données sur le sommeil de l’enfant ont été collectées pendant une nuit (de 18 h à 8 h le lendemain matin) toutes les deux semaines, entre 4 et 18 semaines. On a fourni aux parents deux actigraphes (un pour la mère et un pour l’enfant, à porter pendant la période nocturne), avec des informations détaillées sur leur utilisation : la mère devait fixer le sien sur le poignet de la main non dominante, tandis que celui de l’enfant devait être fixé sur sa cuisse gauche. Les appareils enregistraient toutes les informations, qui étaient ensuite récupérées par les auteurs. Par ailleurs, et pour ces mêmes nuits, la mère devait compléter un journal sur son sommeil et celui de son enfant, par incréments de 15 minutes. Des données sur l’environnement de sommeil de l’enfant ont également été collectées (lit parental, chambre parentale, chambre séparée…). La durée totale de sommeil de la mère et de l’enfant a été calculée à partir des données de l’actigraphe et du journal complété par la mère entre 18 h et 8 h, et on a noté le nombre de réveils nocturnes. À chaque suivi, des données sur l’alimentation de l’enfant ont été collectées, et on a exclu de l’analyse les enfants qui n’étaient plus exclusivement allaités ou exclusivement nourris au lait industriel.
Certains parents n’ont pas fourni les données nécessaires à chacun des suivis. Le nombre d’enfants pour lesquels les données étaient disponibles allait de 13 à 20 suivant les suivis pour les enfants exclusivement allaités, et de 20 à 29 pour les enfants exclusivement nourris au lait industriel. Les deux groupes étaient similaires sauf pour le niveau maternel de scolarité, le pourcentage de mères ayant un niveau universitaire étant significativement plus bas chez les mères qui donnaient exclusivement un lait industriel. Les résultats de l’actigraphie étaient similaires dans les 2 groupes à 4, 6 et 8 semaines, ainsi que les résultats calculés à partir des rapports des mères. Toutefois, si à 10, 12, 14 et 16 semaines, les résultats de l’actigraphie étaient toujours similaires dans les deux groupes, les rapports des mères donnant exclusivement un lait industriel faisaient état d’une durée de sommeil nocturne plus longue de 41 à 58 minutes que ceux des mères qui allaitaient exclusivement ; ces mères faisaient également état de plages plus longues de sommeil chez leur enfant. À 18 semaines, l’actigraphie constatait une durée totale de sommeil nocturne plus longue de 78 minutes en moyenne chez les enfants exclusivement allaités, ainsi que des plages plus longues de sommeil par rapport aux enfants exclusivement nourris au lait industriel. Concernant la fréquence des réveils nocturnes et la durée des périodes d’éveil entre deux épisodes de sommeil, les enfants exclusivement nourris au lait industriel avaient des périodes d’éveil plus longues à 14 semaines d’après l’actigraphie. Les mères des enfants exclusivement allaités rapportaient une fréquence plus élevée de réveils nocturnes que celles qui donnaient exclusivement un lait industriel à 6 et 14 semaines, alors que l’actigraphie constatait que les enfants nourris au lait industriel se réveillaient plus souvent à 16 semaines. Le lieu de sommeil de l’enfant avait également un impact sur les résultats des rapports tenus par les mères sur le plan de la durée totale de sommeil et de la fréquence des réveils nocturnes, mais aucun impact n’était constaté sur les résultats de l’actigraphie.
Les données actigraphiques montraient que la durée totale de sommeil et celle des plages de sommeil augmentait avec le temps, sans qu’une différence significative soit constatée entre 4 et 18 semaines entre les enfants exclusivement allaités et les enfants exclusivement nourris au lait industriel. La fréquence des réveils nocturnes était également similaire dans les deux groupes d’enfants. À 18 semaines, les enfants exclusivement allaités dormaient plus longtemps que ceux nourris au lait industriel. Le lieu de sommeil de l’enfant n’avait aucun impact sur les résultats de l’actigraphie. Si les résultats des rapports des mères étaient proches de ceux de l’actigraphie à 4 semaines, des divergences apparaissaient dès 8 semaines et persistaient jusqu’à 18 semaines, les mères donnant exclusivement un lait industriel surestimant la qualité et la durée de sommeil nocturne de leur enfant et sous-estimant la fréquence des réveils nocturnes. Les mères qui allaitaient exclusivement surestimaient également la durée totale de sommeil de leur enfant par rapport à l’actigraphie, mais la divergence était nettement moins importante. Les mères qui allaitent sont plus enclines à dormir avec leur bébé pour pouvoir l’allaiter facilement, et elles pourront donc être plus conscientes des périodes d’éveil et de sommeil de leur enfant. Toutefois, les divergences de perception entre les mères qui allaitaient et celles qui donnaient un lait industriel persistaient même après correction pour le lieu de sommeil de l’enfant. Des études ont constaté des modifications des cycles de sommeil des mères qui dormaient avec leur bébé, ce qui peut avoir un impact sur la perception maternelle du sommeil de son enfant. Les pères sont nettement plus souvent impliqués dans l’alimentation nocturne de leur enfant si celui-ci est exclusivement nourri au lait industriel, ce qui peut également avoir un impact sur la perception maternelle. Enfin, les convictions parentales sur le sommeil de l’enfant peuvent également influencer leur perception. Dans la mesure où de nombreux parents pensent que l’alimentation au lait industriel favorise un meilleur sommeil chez les bébés, ils auront tendance à modifier leurs perceptions pour qu’elles soient conformes à leurs convictions.
Cette étude présente des limitations. Elle portait sur peu de mères, d’autant qu’on a exclu les enfants lorsqu’ils n’étaient plus exclusivement allaités ou exclusivement nourris au lait industriel. Les mères qui donnaient exclusivement un lait industriel avaient un niveau moyen plus bas de scolarité. Certaines familles n’ont pas fourni toutes les données à chaque suivi prévu. Malgré cela, cette étude montre d’une part qu’en dépit des convictions culturelles largement partagées, les enfants nourris au lait industriel ne dorment ni mieux ni plus longtemps que les enfants exclusivement allaités lorsque leur sommeil est évalué de façon objective, alors que les mères qui donnent un lait industriel surestiment significativement la durée et la qualité de sommeil de leur enfant, ainsi que les mères dont l’enfant dort dans une autre pièce que la chambre parentale. Cela devrait amener à remettre en question les études sur le sommeil des enfants allaités ou nourris au lait industriel, et en fonction du lieu de sommeil, dont les résultats reposent sur un journal tenu par la mère, en particulier lorsque les résultats de ces études sont utilisés pour promouvoir des interventions sur le sommeil des nourrissons. D’autres études du même type seraient intéressantes, avec un suivi plus long.
Mon bébé à fait ses nuits dès deux mois et était nourri exclusivement par le lait maternel!
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