Écrit par Julie Hamdan, médecin généraliste, DIULHAM, IBCLC, animatrice LLL, avril 2025.
Pourquoi surveiller le poids du bébé
Les jeunes parents en font l’expérience : à la maternité, après avoir pesé le bébé à sa naissance, son poids continue d’être surveillé, en général tous les jours. Beaucoup ont la sensation que ces pesées fatidiques conditionnent tout le reste, notamment l’autorisation de retour à la maison, et qu’une certaine pression leur a été mise afin que leur bébé reprenne rapidement du poids.
Rappelons ici que si le poids n’est pas le seul indicateur de bonne santé du bébé, il reste important à prendre en compte.
Pendant le premier mois de vie
Le poids est le seul indicateur objectif que le bébé reçoit suffisamment de lait.
D’autres paramètres peuvent indiquer que l’allaitement est efficace, mais ils sont plus subjectifs, avec des situations parfois trompeuses.
- Présence d’urines : une absence d’urines (couches sèches ou quasi) après la montée de lait est un signe de gravité qui doit amener à prendre rapidement un avis médical à la recherche d’une déshydratation. Quand le bébé ne boit pas suffisamment de lait, les couches sont malgré tout mouillées d’urines ; après avoir augmenté les apports du bébé, les parents feront le constat que les quantités d’urines, et donc le poids des couches augmenteront significativement !
- Présence de selles : on considère classiquement qu’un bébé de moins d’un mois qui reçoit suffisamment de lait émet au moins 3 selles par jour en bonne quantité (pas juste à l’état de traces dans la couche). Après un mois de vie, les selles s’espacent souvent, constituant un phénomène tout à fait banal et anodin, connu sous le nom de “selles rares du bébé allaité”. Il ne s’agit pas d’une constipation, les selles continuent d’être molles voire liquides, en quantité importante lorsqu’elles sont émises. Des selles plus espacées pendant le premier mois de vie sont généralement le signe que les apports sont insuffisants, ce qui sera confirmé par la pesée du bébé. Il existe cependant des exceptions : un phénomène de selles rares peut commencer plus tôt, avec une prise de poids qui reste satisfaisante ; ou à l’inverse, les selles sont parfois présentes en bonne quantité malgré une prise de poids insuffisante, incitant à augmenter les apports en lait du bébé.
Beaucoup de situations ne présagent pas de l’efficacité ou de l’inefficacité de l’allaitement : un bébé qui pleure beaucoup, ou réclame à téter très souvent, ne veut pas nécessairement dire qu’il mange trop peu. L’examen médical et la pesée permettent de confirmer que le bébé reçoit suffisamment de lait, et de chercher une autre cause aux pleurs (par exemple une affection médicale telle que reflux gastro-oesophagien, infection aiguë, etc.). Le terme générique de “coliques”, très souvent utilisé, ne désigne pas une pathologie digestive : en effet, les coliques du nourrisson se définissent stricto sensu comme des pleurs excessifs sans cause médicale retrouvée, chez un bébé par ailleurs en bonne santé.
Certaines situations sont régulièrement perçues comme rassurantes, alors qu’elles devraient, au contraire, inciter à la vigilance : c’est le cas du bébé qui dort beaucoup, ou fait ses nuits dès la sortie de la maternité. Interprété à tort comme un bébé repu, il peut en fait s’agir d’un bébé qui n’a pas suffisamment d’énergie pour réclamer à manger, et qui passe en mode “économie d’énergie” : s’il n’est pas suffisamment stimulé pour manger, il ne demande pas spontanément à téter, ne mange pas suffisamment, donc continue à dormir pour s’économiser. C’est un cercle vicieux. Là encore, le poids est le critère objectif qui permet de faire la différence entre un bébé marmotte qui mange suffisamment et dort beaucoup dès les premières semaines (ils existent, même s’ils sont rares !) et un bébé qui dort trop et ne mange pas suffisamment.
Un bébé qui fait des tétées très longues n’est pas non plus un gage d’allaitement efficace ; au contraire, il est possible que ce bébé reste au sein très longtemps en faisant principalement de la succion non nutritive.
Au fil des semaines
Un bébé en bonne santé se développe sur le plan psychomoteur : il s’éveille, interagit avec l’entourage, fait des progrès sur les plans de la motricité, du langage, etc. Sa croissance s’évalue sur trois paramètres principaux : le poids, la taille et le périmètre crânien (tour de tête). En cas de pathologie ou d’apports alimentaires insuffisants, la courbe de poids est la première à en pâtir. En l’absence de correction du problème en cause (prise en charge d’une pathologie éventuelle ou augmentation des apports, selon le cas), la courbe de taille s’infléchit, voire stagne également ; en dernier lieu, toujours en l’absence de correction du problème, c’est le périmètre crânien qui est impacté. Le poids est donc le paramètre de croissance le plus précocement impacté par une pathologie ou une insuffisance d’apports alimentaires.
À quoi s'attendre ?
Quel que soit son âge, le bébé est pesé tout nu, si possible sur la même balance. Le calibrage peut différer légèrement d’une balance à l’autre (de quelques dizaines de grammes), ce qui suffit parfois à changer la donne.
À la naissance
Le bébé passe d’un milieu aquatique à un milieu aérien. La composition de son corps change, sa teneur en eau diminue, ce qui explique qu’il va perdre un peu de poids. Un bébé à terme, en bonne santé, naît avec environ 48 heures de réserves, même s’il ne mange pas sur cette période. Il est habituellement admis que la perte de poids ne devrait pas dépasser 10 % du poids de naissance. Cependant, il est important de prendre en compte plusieurs éléments :
Le poids de naissance peut être influencé par les conditions d’accouchement : si la mère a reçu beaucoup de solutés en perfusion, le bébé peut naître plus “gonflé” d’eau, et perdre ce surplus d’eau dans les premiers jours de vie. La perte de poids sera donc artificiellement majorée.
Ce seuil de 10 % de perte de poids est totalement arbitraire. C’est un repère facile à calculer, utilisable au quotidien par les professionnels. Mais ce chiffre n’est à interpréter qu’en fonction de la situation globale. En effet, dans certaines situations, on cherchera à optimiser l’allaitement précocement, sans attendre 10 % de perte de poids : si le bébé est peu efficace au sein ou n’arrive pas à prendre le sein, ne s’éveille pas spontanément pour téter, si la mère est à risque d’une insuffisance de lait (antécédent de chirurgie mammaire, hypoplasie…), etc. Dans ces cas-là, favoriser le peau à peau continu, augmenter le nombre de tétées, exprimer le lait manuellement et/ou au tire-lait, donner des compléments au bébé (à la petite cuillère ou à la seringue), de lait maternel exprimé, voire, dans de (très) rares cas, avec une Préparation Pour Nourrissons (PPN) à base d’hydrolysat voire d’acides aminés, seront des options à discuter. À l’inverse, dans d’autres cas de figure où tout prête à rassurer (une montée de lait en cours de mise en place, un bébé qui s’éveille spontanément pour téter, est efficace au sein, etc.), il est possible de simplement se laisser un peu plus de temps sans intervention particulière, même en approchant ou dépassant légèrement les fatidiques 10 % de perte de poids.
À partir de la montée de lait
Le bébé commence à regagner du poids. Un allaitement efficace est confirmé par une prise de poids moyenne d’au moins 25 grammes par jour. Le bébé est pesé une à deux fois par semaine pendant les premières semaines, le gain journalier moyen est alors calculé à partir de son poids le plus bas (et non de son poids de naissance). Il récupère son poids de naissance avant son quinzième jour de vie.
Un bon démarrage de l’allaitement facilite sa poursuite dans le temps : on parle ainsi de “période de calibrage” pour désigner les 4 à 6 premières semaines post-partum, période où la lactation est rapidement ajustable à la hausse ou à la baisse en fonction de la stimulation (fréquence des tétées ou des tirages, etc.). Passée cette période, la lactation mieux installée est plus stable dans le temps et autorise de plus en plus de souplesse dans le rythme des tétées ou tirages.
Prise de poids habituellement attendue d’un bébé allaité en bonne santé (source : courbes de croissance OMS)
Âge | Prise de poids journalière | Prise de poids mensuelle |
0 - 3 mois | 25 - 35 g | > 750 g |
3 - 6 mois | 17 - 18 g | 510 - 540 g |
6 - 12 mois | 9 - 10 g | 270 - 300 g |
La croissance d’un bébé qui reçoit du lait maternel est différente de celle d’un bébé qui reçoit une PPN. En effet, un bébé allaité prend généralement plus rapidement du poids qu’un bébé nourri par une PPN pendant les 3 à 4 premiers mois de vie. Ensuite, la tendance s’inverse : à 12 mois, un bébé non allaité pèse 600 grammes à 1 kg de plus, en moyenne, qu’un bébé allaité. Cela explique que les courbes de surveillance pondérale établies à partir d’une population de nourrissons nourris par une PPN ne sont pas adaptées à une population de nourrissons allaités.
Des courbes de croissance (poids, taille, périmètre crânien) de référence pour le bébé allaité ont été établies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à partir de données d’enfants nés en 1997, dans plusieurs endroits du monde : Brésil, Etats-Unis, Ghana, Inde, Norvège, Oman. Les critères d’inclusion étaient très stricts : enfants nés à terme, singletons, en bonne santé, exclusivement allaités plus de 4 mois, diversifiés à 6 mois, allaités plus de 12 mois, pas de pathologie maternelle, pas de tabagisme maternel. 1743 dyades mères-enfants ont ainsi été recrutées, et les données de croissance ont été suivies pendant 24 mois. 882 dyades ont effectivement été suivies jusqu’à 24 mois.
Les courbes OMS ne sont adaptées aux bébés nés prématurément qu’après le terme théorique : entre la naissance et le terme théorique, les courbes habituellement utilisées sont les courbes dites de Fenton (voir ICI), qui s’établissent en fonction du terme corrigé (en semaines d’aménorrhée) jusqu’à 50 semaines de terme corrigé, soit 2 mois après le terme théorique. Il est donc possible de basculer vers les courbes OMS à 2 mois d’âge corrigé, ou bien dès le terme corrigé. Les courbes n’auront pas tout à fait le même aspect, il sera de toute façon nécessaire d’apprécier la courbe dans sa globalité, en tenant compte de l’état clinique, du développement de l’enfant, etc. Les enfants ont en général tendance à rattraper la courbe de leur âge civil avec le temps.
Depuis 2018, les carnets de santé français ont adopté de nouvelles courbes (la précédente version datait de 1979), établies à partir d’une extraction de données, en 2016, portant sur 261 000 enfants entre 0 et 18 ans, obtenues via les données de 42 médecins tirés au sort (pédiatres et médecins généralistes) sur le territoire métropolitain. Les données ont donc concerné une majorité d’enfants non allaités ; en effet, d’après les données de l’étude Epifane de 2012, 69 % des enfants français étaient alors allaités à la naissance, la médiane d’allaitement exclusif se situant à 3 semaines et demi (c’est-à-dire que la moitié des allaitements exclusifs étaient stoppés à 3 semaines et demi).
Bébé prend moins de poids qu’attendu
Les courbes de croissance étant la représentation d’une population d’enfants dans leur diversité, certains bébés se trouvent sous la courbe la plus basse. Par définition, sur les courbes de croissance présentées ci-dessus avec une distribution en percentiles, 3 % des enfants en bonne santé se trouvent donc en dessous de la courbe la plus basse.
Si la prise de poids est faible, il peut s’agir d’un bébé simplement de petit gabarit, mais il est impératif de s’assurer avant toute chose qu’aucune pathologie ne vient interférer avec la prise de poids, et que le bébé a accès à des apports alimentaires suffisants. Un avis médical est donc indispensable pour éliminer une pathologie éventuelle. Côté apports, rappelons ici que le lait maternel ne peut jamais pécher par sa qualité ! En d’autres termes, si l’allaitement est en cause dans la faible prise de poids, c’est un problème de quantité de lait reçue, car il n’existe pas de “lait pas assez riche”. Optimiser l’allaitement permettra au bébé d’accéder à plus de lait, ce qui accélèrera sa croissance pondérale si le problème était là. La maman pourra donc, par exemple, augmenter le nombre de tétées, proposer les deux seins à chaque tétée, pratiquer la compression du sein pour augmenter le débit de lait pendant la tétée, tirer son lait après la tétée pour stimuler la lactation, notamment si le bébé est peu efficace sur le sein, donner le lait maternel exprimé à son bébé, idéalement via un dispositif d’aide à la lactation… Le soutien d’une association de soutien telle que LLL et/ou d’une consultante en lactation professionnelle (IBCLC ou titulaire d’un DIU Lactation Humaine et Allaitement Maternel) peut s’avérer précieux !
Bébé prend plus de poids qu’attendu
Comme dit précédemment, les courbes de croissance sont la représentation d’une population d’enfants dans leur diversité. Par définition, sur les courbes de croissance présentées ci-dessus avec une distribution en percentiles, 3 % des enfants en bonne santé se trouvent donc au-dessus de la courbe la plus haute.
Une prise de poids rapide les premiers mois chez un bébé exclusivement allaité ne présente pas de danger pour sa santé. Il arrive que le médecin qui suit l’enfant décide d’un bilan complémentaire quand d’autres symptômes sont présents et/ou quand des troubles endocriniens sont suspectés. Si le bébé n’a aucun symptôme particulier, notamment digestif, aucune mesure particulière n’est à prévoir. Dans le cas contraire, notamment en cas de pleurs excessifs, de tétées inconfortables, de selles vertes ou mousseuses, de douleurs abdominales, il est parfois proposé de freiner un peu la lactation de la maman, afin de permettre au bébé de recevoir un peu moins de lait et de téter plus sereinement (voir AA 104). En cas de mise en place de telles mesures pour freiner la lactation, il arrive que le bébé se retrouve en difficulté s’il n’avait jamais appris à téter efficacement, et qu’il se contentait jusqu’alors de boire le lait éjecté avec un fort débit. Un accompagnement par une personne formée peut s’avérer utile pour s’assurer de l’installation au sein et de l’efficacité du bébé au sein.
Les bébés allaités très potelés ont tendance à s’affiner avec le temps. Les études scientifiques établissent clairement un lien entre allaitement et baisse du risque d’obésité ultérieure, pendant l’enfance et l’adolescence, et ce, quelle que soit la croissance du nourrisson pendant ses premiers mois de vie.
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