Publié dans Les Dossiers de l’Allaitement n° 73 (Octobre – Novembre – Décembre 2007)
Le co-allaitement est la poursuite de l’allaitement d’un enfant après la naissance de l’enfant suivant, et ce pendant une durée plus ou moins longue. Le cas le plus fréquent est celui de la mère qui devient enceinte alors qu’elle allaite encore, poursuit l’allaitement pendant sa grossesse, et allaite ensuite les 2 enfants.
De nombreuses femmes ont co-allaité sans en parler à un professionnel de santé, bien souvent parce qu’elles ne souhaitaient pas s’entendre dire qu’elles devaient sevrer leur bambin alors que ce n’était pas leur souhait. Ces femmes se posent toutefois des questions : cela ne risque-t-il pas de poser des problèmes pour leur nouvelle grossesse ? Le bébé aura-t-il assez de lait s’il doit partager avec un bambin ? Comment la mère vivra-t-elle cette situation particulière, sur le plan physique comme sur le plan émotionnel ? Si l’un des enfants est malade, l’autre pourra-t-il continuer à prendre le sein ?
D’autres mères ressentiront le besoin de discuter de la situation avec un professionnel de santé. Outre ses sentiments vis-à-vis de la poursuite de l’allaitement pendant la grossesse, il sera important de discuter avec elle de considérations pratiques telles que l’âge de l’enfant en cours d’allaitement, les besoins de cet enfant tels que les ressent la mère, les manifestations physiques et émotionnelles éventuellement désagréables ou douloureuses éprouvées par la mère, son expérience éventuelle en la matière (certaines mères pourront avoir déjà vécu cette situation), et d’aborder les questions que toutes les mères vivant cette situation se posent.
Utérus et ocytocine
Si la grossesse se passe bien, la poursuite de l’allaitement de l’enfant précédent ne pose habituellement aucun problème. On a longtemps craint que la sécrétion d’ocytocine pendant les tétées induise des contractions utérine. Toutefois, dans une étude de Moscone (1993), 93% des femmes disaient ne pas ressentir de contractions utérines pendant les tétées. Et même les femmes qui faisaient état de contractions utérines intenses disaient que ces contractions s’arrêtaient rapidement (Flower, 2003). Par ailleurs, l’expérience a montré que le muscle utérin est insensible à l’ocytocine jusqu’aux alentours de la 38ème semaine de grossesse. L’allaitement n’augmente donc pas en soi le risque de fausse couche si la grossesse est normale, pas plus que les rapports sexuels, qui induisent également des contractions utérines. Même des doses très importantes d’ocytocine synthétique ne déclencheront pas le travail pendant la grossesse (Fuchs, 1984). Cette insensibilité de l’utérus à l’ocytocine, liée à un nombre très bas de récepteurs pour cette hormone, protège le bébé pendant la grossesse. Le nombre des récepteurs va augmenter de façon très importante en toute fin de grossesse, et plus encore pendant le déroulement de l’accouchement. De plus, pour répondre fortement à l’ocytocine, les récepteurs de l’ocytocine ont besoin d’une protéine, la connexine-43, composant majeur de la jonction intercellulaire dans le myomètre. La synthèse de cette protéine, inhibée pendant la grossesse par le taux élevé de progestérone sécrétée par le placenta, augmente fortement au moment du terme, et atteint un maximum pendant le travail (Chwalisz, 1998 ; Grazzini, 1998 ; Zingg, 1998).
La situation pourrait éventuellement être différente chez une mère qui a des antécédents de fausse couche, ou qui attend des multiples. Il n’existe aucune étude sur le sujet. Toutefois, de nombreuses mères « à risque » ont mené à bien leur grossesse tout en poursuivant l’allaitement (Flower, 2003).
L’allaitement pendant la grossesse
Une étude faite sur 503 mères qui allaitaient toujours au début de leur grossesse a montré que 69% des enfants se sevraient spontanément pendant la grossesse (Newton, 1979). Ce chiffre était de 57% dans une étude plus récente (Moscone, 1993). Toutefois, rien ne permet d’affirmer que la grossesse est à l’origine de ce sevrage, la plupart des enfants étant arrivés à un âge où bon nombre d’entre eux se seraient sevrés de toute façon. Vers le milieu de la grossesse, la sécrétion lactée baisse fortement et les seins commencent à sécréter du colostrum. Ces modifications de goût et de volume pourront amener l’enfant à se sevrer. Par ailleurs, l’augmentation de la sensibilité mammaire chez de nombreuses femmes pendant la grossesse pourra amener la mère à sevrer, les tétées devenant douloureuses. L’enfant peut éventuellement le comprendre, et coopérer en acceptant de ne téter que dans certaines positions, à certains moments et pendant un temps limité. En fin de grossesse, le volume abdominal pourra rendre les tétées inconfortables pour la mère. Dans l’ensemble, de nombreuses mères sèvreront pendant leur grossesse (Moscone, 1993 ; Newton, 1993).
D’autre part, certaines mères, même si elles souhaitaient vivement au départ continuer l’allaitement de leur bambin, pourront éprouver des sentiments très négatifs pendant les tétées. Elles pourront être étonnées de l’intensité des sentiments d’hostilité, d’agressivité ou de ressentiment qu’elles éprouvent vis-à-vis de l’enfant plus âgé lorsqu’il est au sein. Cela est dû au fait que la grossesse incite la mère à se recentrer sur l’enfant à venir, et amène de nombreuses mères à décider de sevrer. Le fait de pouvoir en parler pourra les aider à faire le point sur leurs sentiments souvent ambivalents, et à se sentir moins coupables des émotions négatives qu’elles éprouvent.
Si la mère est correctement nourrie, le fait d’allaiter pendant la grossesse n’aura aucun impact sur le développement du fœtus, comme l’ont montré 2 études (Marquis, 2002 ; Moscone, 1993). Toutefois, une étude a montré que ces mères avaient des apports nutritionnels plus élevés et une masse grasse moins importante pendant la grossesse (Merchant, 1990). En revanche, si la mère est malnutrie, la poursuite de l’allaitement pourra avoir un impact négatif sur le poids de naissance de l’enfant (Ramachandran, 1989). Une étude effectuée au Bhoutan faisait état d’une moins bonne prise de poids chez le bambin toujours allaité par une mère enceinte malnutrie (Bøhler, 1996) ; toutefois, l’arrêt de l’allaitement du bambin en pareil cas présente également des risques pour ce dernier (Bøhler, 1995) : diarrhées et autres maladies, stagnation staturo-pondérale, surtout si l’enfant a moins de 6 mois lorsque débute la nouvelle grossesse.
Après la naissance
Pendant les premiers jours qui suivent la naissance, le colostrum, particulièrement riche en immunoglobulines, devrait aller en priorité au nouveau-né. Par la suite, les mères qui co-allaitent ont habituellement une production lactée abondante (voire trop abondante du point de vue du nourrisson). Un enfant plus grand est plus efficace au sein, et une mère pourra trouver très agréable d’avoir un enfant plus âgé pour soulager un engorgement. On recommande souvent aux mères de privilégier le bébé par rapport à l’enfant plus grand, mais passé les premiers jours, c’est rarement important. La production lactée s’adapte, de la même façon qu’elle le fait lorsqu’une mère allaite des jumeaux ou des triplés. La mère peut allaiter les 2 enfants à la demande, ou comme elle le souhaite.
Un enfant qui s’était sevré pendant la grossesse pourra redemander le sein après l’accouchement. La reprise de l’allaitement pourra être « symbolique » (l’enfant ne faisant pas grand chose d’autre que prendre le sein en bouche pendant quelques secondes et ne redemandant plus jamais à téter par la suite), comme elle pourra être durable, avec éventuellement une fréquence des tétées supérieure à celle précédant la grossesse. Il arrive même que le second enfant se sèvre spontanément avant l’aîné. Ce dernier est le plus souvent arrivé à un âge où la mère peut discuter avec lui de la situation, afin de trouver des compromis qui pourront être satisfaisants pour tous deux quant au déroulement de ses tétées. La poursuite de l’allaitement de l’aîné l’aidera souvent à accepter la naissance d’un nouvel enfant.
Certaines mères se sentiront à l’aise pour allaiter les deux enfants en même temps. D’autres ne le supporteront pas, et préféreront les allaiter séparément. Cela pourra d’ailleurs varier selon les jours. Même s’il lui paraissait encore tout petit, l’enfant plus âgé semblera soudain très grand lorsque le bébé sera né, et la mère sera naturellement encline à faire passer la satisfaction des besoins du nourrisson avant celle de l’aîné. Ce sentiment est parfaitement normal. Les premières semaines du post-partum, pendant lesquelles se produisent d’importants ajustements, seront généralement les plus difficiles. Avec un soutien matériel et émotionnel adapté, la mère pourra traverser cette période orageuse, et retrouver ensuite la stabilité émotionnelle qui lui permettra de vivre (à peu près) sereinement le co-allaitement.
Il n’y a pas de consignes spéciales en ce qui concerne l’hygiène. Les glandes de Montgomery situées sur les mamelons sécrètent une substance qui réduit la prolifération bactérienne, et les nourrissons allaités bénéficient des anticorps maternels, qui les protègent contre les germes présents dans l’environnement de leur mère. Lorsqu’un des enfants est malade, l’autre peut habituellement continuer à prendre le sein. Bon nombre de pathologies infectieuses sont contagieuses avant toute apparition de symptômes. Si le bambin souffre d’herpès buccal, il ne devrait pas être mis au sein tant que les lésions ne sont pas guéries. Si l’un des enfants a du muguet et pas l’autre, il serait utile de « réserver » un sein à chaque enfant si possible.
En conclusion, si la mère est bien nourrie et que la grossesse se passe bien, la poursuite de l’allaitement pendant la grossesse ne posera pas de problème pour la santé de la mère, du fœtus, ou de l’enfant toujours allaité. Le co-allaitement peut se poursuivre aussi longtemps que souhaité si la mère et les enfants sont en bonne santé, que la croissance des enfants est satisfaisante. Ce sera donc à la mère de voir dans quelle mesure elle souhaite co-allaiter, et comment elle le vit en pratique. Il lui sera utile de savoir qu’elle doit s’attendre à éprouver, tout au moins à certaines périodes, des sentiments très ambivalents, même si elle est au départ très motivée pour co-allaiter. Avoir le soutien de son entourage sera important, et les encouragements d’un professionnel de santé seront les bienvenus.
Références
Bøhler E, Bergstrom S. Child growth during weaning depends on whether mother is pregnant again. J Trop Pediatr. 1996 ; 42 : 104-109.
Bøhler E, Bergström S. Subsequent pregnancy affects morbidity of previous child. J Biosoc Sci 1995 ; 27 : 431-442.
Boies E. Ask the expert : tandem nursing. Breastfeeding update 2005 ; 5(2) : 6.
Chwalisz K, Fahrenholz F, Hackenberg M., Garfield R, Elger W. The progesterone antagonist onapristone increases the effectiveness of oxytocin to produce delivery without changing the myometrial oxytocin receptor concentrations. Am J Obstet Gynecol 1991 ; 165 : 1760-70.
Flower Hilary. Adventures in Tandem Nursing Breastfeeding during Pregnancy and Beyond. La Leche League Int. 2003 : 233.
Grazzini E, Guillon G, Mouillac B, Zingg HH. Inhibition of oxytocin receptor function by direct binding of progesterone. Nature 1998 ; 392(6675) : 509-12.
Marquis GS, Penny ME, Diaz JM, Marin M. Postpartum Consequences of an Overlap of Breastfeeding and Pregnancy: Reduced Breast Milk Intake and Growth During Early Infancy. Pediatrics. 2002 ; 109(4) : e56.
Merchant K et al. Maternal and fetal responses to the stresses of lactation concurrent with pregnancy and of short recuperative intervals. Am J Clin Nutr 1990 ; 52 : 280-88.
Moscone SR, Moore MJ. Breastfeeding during pregnancy. J Hum Lact 1993 ; 9(2) : 83-8.
Newton N, Theotokatos M. Breastfeeding during pregnancy in 503 women : does a psychobiological weaning mechanism exist in humans ? Emotion and Reproduction 1979 ; 20B : 845-9.
Newton N, Theotokatos M. Breastfeeding during pregnancy. J Hum Lact 1993 ; 9(2) : 83-88.
Ramachandran P. Lactation : Nutrition, fertility, interaction. In Women and Nutrition in India. New Delhi, India : Nutrition Foundation of India, 1989, 194.
Rawlings JS, Rawlings VB, Read JA. Prevalence of low birth weight and preterm delivery in relation to the interval between pregnancies among white and black women. NEJM. 1999 ; 332 : 69-74.
Zingg HH, Grazzini E, Breton C, et al. Genomic and non-genomic mechanisms of oxytocin receptor regulation. Adv Exp Med Biol 1998 ; 449 : 287-95.
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Avez vous des articles plus récents sur le sujet
comment avoir accès aux études dont vous parlez
j'ai besoin pour parler le même langage que les gynéco obtétricien de répondre par de l'EBM
sur le risque de fausse couche ou accouchement prématuré
leur argument est que l'ut"rus est sensible à l'ocytocine pendant la grossesse étant donné qu 'on arrive à provoquer une interruption de la grossesse même tardive pour malformations foetales
la qualité du lait et colostrale pour le bébé et les apports suffisants pour sa croissance
merci de vos réponses
bien à vous
Patricia vanderschueren
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