Premastication : the second arm of infant and young child feeding for health and survival ? GH Pelto et al. Mat Child Nutr 2009
La prémastication par la mère des solides donnés au bébé fait partie du processus d’adaptation permettant au petit de notre espèce de recevoir plus facilement des solides pendant le début du sevrage. Elle a été la règle universelle pendant des millénaires, et elle l’est restée jusqu’à récemment dans les pays industrialisés. Dans ces pays, la possibilité de préparer facilement des bouillies et des purées ne nécessitant pas de mastication par la mère a fait plus ou moins disparaître cette pratique, qui a de plus été décrite comme « peu hygiénique », et susceptible d’être dangereuse. Le but de cette étude transversale ethnographique était de recueillir des données sur la pratique de la prémastication, et de discuter des avantages et des risques de cette pratique.
Les auteurs ont recueilli des données sur l’alimentation infantile portant sur un total de 119 cultures. La prémastication des aliments était explicitement décrite dans 38 cultures. La principale raison était alimentaire, mais dans quelques cultures la prémastication avait également des aspects religieux ou culturels. Le bébé commençait à recevoir des aliments prémâchés en moyenne à 6 mois, et cela pouvait se poursuivre jusqu’à 2 ans (voire jusqu’à l’âge adulte en cas de connotations religieuses). Dans la majorité des cas, la mère prémâchait les aliments ; dans quelques cultures, d’autres personnes le faisaient aussi (père, grands-parents, fratrie…). Les données existantes montrent que la prémastication était répandue sur les 5 continents, et dans toutes les sociétés. Dans la mesure où de nombreuses études ethnographiques portent peu d’attention aux pratiques d’alimentation infantile et les décrivent de façon sommaire, on peut se demander dans quelle mesure la prémastication n’est pas plus fréquente encore qu’on le croit.
Pour essayer de l’évaluer, les auteurs ont analysé plus en détail les pratiques de prémastication dans la culture Han en Chine. Ils ont pour ce faire mené une étude qualitative. 104 étudiants en université, originaires de toute la Chine, ont été interrogés. Ils devaient entre autres demander à leurs parents s’ils avaient reçu des aliments prémâchés pendant leur petite enfance. Le niveau d’éducation de ces étudiants, ainsi que celui de leurs parents, était nettement supérieur à la moyenne nationale. 102 étudiants avaient été allaités, pendant une durée moyenne de 12 mois. 39 étudiants n’avaient jamais reçu d’aliments prémâchés. Les autres en avaient reçu, à partir de 8 mois en moyenne, et jusqu’à en moyenne 24 mois. Cette étude permet de confirmer la prévalence élevée de la prémastication, y compris dans une population de bon niveau culturel et socioéconomique, même si cette pratique était moins répandue dans les familles ayant le niveau d’éducation le plus élevé (probablement déconseillée par le pédiatre). Elle confirme également la sous-notification de la prémastication dans les études ethnographiques : elle n’était mentionnée par aucune des études portant sur les pratiques d’alimentation infantile en Chine.
Il n’existe aucune étude systématique sur les avantages et les risques de la prémastication. Toutefois, la salive a des propriétés spécifiques. Les auteurs ont recherché les études portant sur la salive, et ces études permettent de penser que le transfert de salive à l’enfant peut non seulement présenter des bénéfices nutritionnels et immunologiques à court terme, mais également présenter des bénéfices à long terme sur le plan de l’immunocompétence et de l’immunotolérance. La salive contient des sels minéraux, des enzymes, des anticorps, des mucines et des protéines. Son rôle le plus évident est la prédigestion des aliments. Cet aspect est intéressant pour le bébé, dont les capacités de digestion sont encore limitées. La salive contient également des facteurs de croissance et des facteurs immunitaires ; certains d’entre eux sont similaires à ceux présents dans le lait maternel (IgA, IgM, cytokines, facteur de croissance épidermique…), d’autres sont spécifiques à la salive (gonadotrophines, phosphatases acides, facteur de croissance fibroblastique basique…). Par ailleurs, on sait que certains germes pathogènes peuvent être transmis par la salive : Helicobacter pylori, virus de l’herpes, Streptococcus mutans (Ndlr : responsable de caries dentaires)… Cela ne veut pas obligatoirement dire que les germes pathogènes présents dans la salive pourront contaminer l’enfant, étant donné la présence d’anticorps dans la salive. En fait, le lait maternel contient beaucoup plus de germes que la salive, mais sauf exception cela ne pose aucun problème au bébé allaité. Il serait très intéressant d’étudier l’impact des anticorps présents dans la salive maternelle sur le développement immunitaire du bébé. Par ailleurs, une contamination de l’enfant par ce moyen pourrait avoir des avantages, l’enfant présentant une forme bénigne de la maladie qui l’immunisera. De plus en plus d’études démontrent que vouloir éviter à tout prix les infections a eu pour conséquence une augmentation importante de la prévalence des pathologies allergiques dans nos sociétés : notre système immunitaire a besoin d’être confronté aux germes pathogènes pour se développer normalement. Enfin, la prédigestion des molécules potentiellement allergisantes provoquée par la prémastication pourrait abaisser le risque d’allergies chez l’enfant.
Si la prémastication présentait des dangers significatifs pour le bébé, il est peu probable que cette pratique ait été aussi universellement répandue pendant aussi longtemps. En revanche, si la prémastication fait partie du processus d’adaptation de notre espèce en matière d’alimentation du petit (rappelons que le petit humain est celui qui a la croissance la plus lente et la plus longue période de dépendance), on devrait pouvoir trouver des traits de comportements susceptibles de le montrer. Deux types de comportement très courants suggèrent de tels comportements : les bébés adorent mettrent leurs doigts dans la bouche de l’adulte qui les portent, et l’adulte y répond habituellement en suçant doucement les doigts de l’enfant ; et les parents aiment embrasser les joues et le cou de leur bébé et y enfoncer leur visage.
Étant donné l’impact potentiel de la prémastication en matière de santé infantile, il est nécessaire de mieux étudier cette pratique et son impact sur l’enfant, sur le plan nutritionnel et sur le plan immunitaire. L’aversion que certaines personnes expriment vis-à-vis de la prémastication (jugée sale, animale…) est similaire à celle qui s’exprimait envers l’allaitement encore récemment. Mais au vu des données existantes, cette aversion ne repose sur aucune base scientifique.
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