Article de Vanessa Lasne, animatrice LLL France, paru dans le n° 116 d'Allaiter aujourd'hui, juillet 2018.
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Si l’allaitement est très généralement initié et pratiqué par la mère biologique d’un enfant immédiatement après sa naissance, la relactation et la lactation induite sont des possibilités qui – quoique encore peu connues et peu développées dans nos sociétés industrialisées – existent !
La relactation
La relactation consiste à reprendre l’allaitement après un arrêt précoce ou un sevrage datant au plus de six mois. Le plus souvent, c’est l’intolérance du bébé au lait artificiel qui conduit la mère à envisager une relactation. Mais certaines pourront également souhaiter débuter une relactation si, pour une raison ou pour une autre, l’allaitement a été écourté (douleur, impression de manque de lait ou manque de lait avéré, maladie maternelle ou infantile, reprise du travail...), mais également si le choix initial de ne pas allaiter est finalement mal vécu.
Une étude menée en 2012 auprès de 200 mères égyptiennes (1) constatait que « l’échec précoce de l’allaitement induit souvent chez la mère un sentiment de culpabilité et d’incompétence, qui pourra perdurer pendant longtemps ». Toutes les mères participant à l’étude avaient été confrontées à des pratiques contraires à celles habituellement utilisées pour débuter un allaitement de manière optimale (don de compléments, lait artificiel donné gratuitement...). Le protocole de relactation incluait : proximité mère-bébé continue aussi longtemps que possible, mises au sein (ou expressions) fréquentes, utilisation de plantes galactogènes, non-utilisation de tétines et biberons. Parmi les causes d’échec de la relactation, la principale était le découragement de la mère devant les difficultés. L’absence de relance de la production lactée et le refus du bébé de reprendre le sein étaient d’autres raisons.
La conclusion d’une autre étude (2), portant sur 88 mères, était que « les femmes chez qui une relactation est envisagée devraient recevoir un soutien adapté afin d’augmenter leur sentiment de compétence et de confiance en elles, de même que leur compagnon ».
La lactation induite
Anecdotique, mal connue dans notre pays – contrairement à d’autres sociétés modernes où elle est plus répandue et aux sociétés traditionnelles où elle est monnaie courante depuis très longtemps –, la lactation induite se définit par le fait de lancer une production lactée sans grossesse préalable.
Les mères qui adoptent un enfant peuvent désirer l’allaiter pour le protéger des risques liés au non-allaitement sur le plan physique, mais également pour tout ce qui a trait à l’aspect émotionnel et relationnel de cette proximité privilégiée. Un enfant adopté, qui aura vécu une séparation précoce d’avec sa mère biologique, pourra tirer d’autant plus profit de ces tétées qui faciliteront l’émergence d’un lien fort avec sa mère adoptive.
Dans les pays non industrialisés, les femmes qui induisent une lactation sont bien souvent des membres de l’entourage proche (tantes, grands-mères...) d’un enfant devenu orphelin ou que la mère biologique ne peut prendre en charge. Alors que, chez nous, les enfants adoptés le sont bien souvent par des femmes qui rencontrent des problèmes de fertilité. Et ces problèmes pourront avoir un impact sur la possibilité de l’allaitement.
L’Académie Américaine de Pédiatrie et l’Académie Américaine des Médecins généralistes recommandent toutes deux l’induction d’une lactation lorsqu’une mère adoptive souhaite allaiter son enfant. Malheureusement, en France, les mères qui se lancent dans cette aventure doivent fréquemment faire face à la méconnaissance et à l’incompréhension non seulement de leur entourage, mais aussi du milieu médical (3).
Comment fonctionne la lactation ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tout ce qui physiquement va permettre la lactation ne se forme pas (uniquement) pendant la grossesse, mais dès le stade embryonnaire. Ainsi, les bourgeons mammaires émergent ; puis vont se constituer la glande mammaire, une esquisse de réseau canalaire, les glandes de Montgomery... En sommeil pendant l’enfance, les seins vont se développer pendant la puberté puis, à nouveau, dès le début de la grossesse. Le milieu hormonal de la grossesse est très particulier, avec des niveaux importants d’hcG, de progestérone, d’oestrogènes, et de différentes autres hormones.
Les deux hormones principalement impliquées dans la lactation sont la prolactine (dont le rôle est de développer la glande mammaire, d’enclencher et de maintenir la production lactée) et l’ocytocine (dont le rôle est entre autres de favoriser l’éjection du lait). Ces deux hormones sont produites par l’hypophyse et ne sont pas uniquement liées à la lactation. Autrement dit, il est possible de stimuler leur sécrétion en dehors d’un contexte de grossesse.
La stimulation des mamelons est à la base de toute démarche de relactation comme de lactation induite, car elle permettra l’augmentation du taux de prolactine – et, par ricochet, le développement de la glande mammaire et l’établissement de la production lactée. Le mécanisme d’éjection du lait, également induit par la sollicitation des mamelons, est correlé à l’état émotionnel de la mère. Une mère tendue, stressée pourra ainsi avoir plus de mal à exprimer le lait présent, d’où l’importance de favoriser un climat et un soutien propices à la détente.
J’ai envie de me lancer, comment faire ?
Des stimulations fréquentes sont essentielles à l’établissement et au maintien de la production lactée. Elles peuvent être effectuées de différentes manières : mises au sein, expression manuelle ou à l’aide d’un tire-lait en fonction de la situation (souhait de relactation ou d’induction d’une lactation, bébé qui accepte le sein ou non, qui est présent ou non...).
Le peau à peau permet lui aussi de stimuler la sécrétion d’ocytocine.
Mises au sein
Proposer le sein au bébé permettra d’observer sa réaction, et d’adapter la conduite à tenir.
Certains bébés prendront uniquement le sein en bouche, sans faire de mouvements de succion, tandis que d’autres accepteront de téter. Cette réaction positive du bébé à la mise au sein est encourageante et peut simplifier les choses !
Des mises au sein fréquentes – de 8 à 14 fois par 24 heures dans l’idéal – permettront de stimuler la lactation de manière importante. Dans le protocole de « Power Pumping » (« marathon de tirages » en français) de Catherine Watson, qui consiste à tirer son lait en double pompage 5 à 10 minutes au moins 10 fois par jour – avec au minimum 45 minutes entre les séances, une pause sieste et une interruption d’une durée de 4 à 6 heures la nuit –, la clé de l’augmentation de la production est le nombre considérable de stimulations.
Il est donc important de garder à l’esprit que la fréquence importe plus que la durée !
Voici quelques moyens de faciliter le démarrage et la poursuite de l’allaitement :
- rester proche du bébé le jour comme la nuit (si le choix se porte sur le partage du lit, veiller à respecter les conditions pour un co-sleeping en toute sécurité)
- favoriser le portage, le peau à peau qui augmentent la sécrétion d’ocytocine tout en permettant de passer de doux moments
- proposer le sein aux signes d’éveil : mouvements des yeux sous les paupières, des bras et des jambes, agitation, ouverture de la bouche, bébé qui tourne la tête et « cherche »...
- utiliser la compression du sein pour permettre l’éjection du lait restant dans les canaux. Cette technique consiste à placer les doigts autour du sein, à distance du mamelon, avec le pouce au dessus et les autres doigts en dessous. La pression douce et ferme ne doit pas provoquer de douleur. Il existe des vidéos pour en faciliter la pratique
- éviter l’utilisation précoce de « mamelons en silicone » : bouts de sein, tétines, biberons... qui peuvent interférer avec la mise en place et le maintien de la lactation. La plupart des douleurs sont causées par une prise de sein et/ou une position incorrectes, qui peuvent être corrigées. Les compléments dont le bébé a besoin peuvent être donnés avec d’autres moyens plus respectueux de l’allaitement.
Expression du lait manuelle ou à l’aide d’un tire-lait
Lorsque le bébé n’accepte pas le sein, ou dans le cas d’une induction de la lactation, la mère peut être amenée à exprimer son lait manuellement ou à l’aide d’un tire-lait. Cela peut être émotionnellement frustrant et difficile à vivre de voir le bébé rejeter le sein. Tirer son lait, en augmentant la lactation, facilitera par la suite sa venue au sein, car les bébés préfèrent et ont plus de facilité à téter lorsque la quantité de lait est plus importante.
Dans la cas d’une relactation, la préparation peut être assez courte et comprendra d’une part des expressions fréquentes et d’autre part le fait de chercher à ce que le bébé « réapprivoise » le sein.
Quelle que soit la technique choisie pour l’expression du lait, débuter la séance par un massage doux et le poursuivre au cours de la séance contribuera à détendre la mère et favorisera l’éjection du lait. Une étude a montré que l’utilisation du massage en cours d’expression du lait permet d’obtenir 40 à 50 % de lait en plus (4).
La technique Marmet d’expression manuelle du lait est simple et économique. Elle alterne des phases de massage et d’expression. Les doigts sont positionnés en C à quelques centimètres autour du mamelon. La première étape consiste à appuyer vigoureusement sur le sein (mais sans provoquer de douleur) en direction de la cage thoracique. Les doigts roulent ensuite simultanément vers l’avant. Ces deux étapes sont ensuite répétées pendant plusieurs minutes avant de masser puis de reprendre l’ensemble des étapes.
La littérature scientifique montre que l’utilisation d’un tire-lait rend l’expression plus efficace et « augmente davantage les taux sériques d’ocytocine et de prolactine chez la mère ».
D’autres études constatent que l’association des deux méthodes permet d’optimiser encore les séances (5).
Le tire-lait devant, dans ces situations, être utilisé de manière intensive et le besoin en termes d’efficacité et de confort étant important, il convient de privilégier un modèle électrique automatique à double pompage. La taille des téterelles devra être adaptée à la taille des mamelons de la mère pour prévenir la survenue de blessures, et maximiser l’efficacité des séances.
Quand aurai-je du lait et en quelle quantité ?
Pour la mère adoptive, plus la préparation sera longue, plus il y aura de chances pour le bébé d’obtenir du lait lors des premières mises au sein. La brochure de l’OMS sur la relactation nous apprend que « le temps nécessaire au déclenchement de la production lactée varie de quelques jours à quelques semaines, toute estimation étant délicate. Là où un certain nombre de mères ne produiront jamais suffisamment de lait afin d’établir ou de remettre en route un allaitement exclusif, d’autres au contraire parviennent à une lactation optimale en quelques jours. Certains auteurs estiment que la relactation est plus rapide dans le cas de mères ayant cessé d’allaiter peu de temps auparavant ou allaitant encore parfois, mais tel n’est pas toujours le cas. Les mères pour lesquelles l’intervalle sans allaitement a été plus long doivent parfois attendre quatre à six semaines avant de produire des quantités de lait significatives » (6).
Il n’est pas possible de prévoir à l’avance la quantité de lait qu’obtiendra une mère donnée et sous quel délai. Certaines parviendront à obtenir une lactation exclusive, d’autres devront supplémenter leur bébé.
Concernant la lactation induite, dans de nombreux cas, la mère n’obtient qu’une lactation partielle. Toutefois, une étude publiée en 2017 dans le JHL rapporte le cas d’une mère adoptive chez qui la démarche d’induction a été tellement efficace qu’elle est devenue donneuse de lait (7) !
Il importe donc de savoir que débuter un processus de relactation ou de lactation induite est possible, mais aussi d’avoir des attentes réalistes quant à ses objectifs (possible ne rime pas forcément avec facile !) et ses possibilités.
Pour autant, le fait de ne pas parvenir à produire toute la quantité de lait dont l’enfant a besoin n’enlève rien au bénéfice de la quantité de lait maternel qu’il reçoit, et à l’interaction merveilleuse permise par ces tétées. Et, de toute façon, certaines mères trouveront l’allaitement gratifiant pour différentes raisons, notamment relationnelles.
L’accompagnement médicamenteux
Il existe différents protocoles médicamenteux utilisés pour accompagner les mères en démarche de lactation induite. Celui du Dr Jack Newman vise à se rapprocher tout d’abord du milieu hormonal de la grossesse par la prise d’une pilule contraceptive combinée associée à de la dompéridone pour augmenter le niveau de prolactine. (Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication)
Des plantes galactogogues peuvent également être utilisées (fenugrec, chardon béni...).
Dans le cas d’un accompagnement médicamenteux – qui peut occasionner des effets secondaires, comme pour toute prise de médicament –, il convient pour la mère de trouver un professionnel de santé qui soit informé et puisse comprendre sa démarche, et l’accompagner le cas échéant.
Voir le protocole # 9 de l'Academy of Breastfeeding Medicine, Utilisation des galactogènes pour l’induction ou l’augmentation de la sécrétion lactée
Il est important de souligner que de nombreuses mères ont réussi à induire une lactation ou à relacter sans utiliser d’autre moyen que la stimulation des mamelons, la succion du bébé étant la plus efficace qui soit !
Comment faire pour donner les compléments ?
Il a été évoqué plus haut que l’utilisation de biberons pouvait interférer avec l’allaitement. Comment alors donner les compléments dont aura éventuellement besoin le bébé pour une durée plus ou moins longue ?
La quantité de compléments donnés au bébé devrait être fractionnée en petits volumes donnés pendant ou après chaque tétée. Ainsi, le bébé pourra tirer parti au mieux des nombreuses tétées, importantes pour augmenter et maintenir la lactation.
Plusieurs accessoires peuvent être utilisés pour apporter au bébé les compléments dont il a besoin, tout en perturbant le moins possible l’allaitement : DAL au sein, cuillère, seringue, gobelet...
Le DAL est un dispositif muni d’un réservoir et d’une sonde dont le bout est accroché près du mamelon. Il permet au bébé de stimuler la lactation au sein tout en recevant le complément. Il peut être acheté tout fait ou fabriqué à partir d’éléments trouvés en pharmacie (voir la fiche « DAL temporaire fait maison » et la vidéo « DAL de fortune : montage »).
Le gobelet peut être utilisé même chez de très jeunes bébés, en positionnant le bébé bien à la verticale pour éviter qu’il ne fasse une fausse route.
Au fur et à mesure que la lactation augmentera, on pourra diminuer le volume de compléments, en s’assurant toujours que le bébé obtient suffisamment de lait. La diminution sera plus ou moins rapide, mais il est important de faire cela progressivement. La mère pourra adapter le rythme à son bébé, en stoppant la diminution, voire en augmentant de nouveau la quantité donnée, ou bien en diminuant plus rapidement lorsque c’est possible. Certaines mères pourront diminuer puis arrêter relativement rapidement les compléments, alors que d’autres devront compléter jusqu’à la diversification du bébé. À ce moment-là, la lactation de la mère, partielle jusqu’alors, pourra s’avérer suffisante pour combler les besoins du bébé, en association avec l’alimentation solide.
Comment savoir si le bébé obtient suffisamment de lait ?
Plusieurs signes peuvent aider à reconnaître que le bébé obtient suffisamment de lait, notamment :
- la fréquence des tétées : boit-il 8 à 14 fois par jour ?
- les tétées sont-elles efficaces ? Lorsque le bébé reçoit du lait, son menton s’abaisse et marque une pause. Il alterne bouche grande ouverte – pause – bouche qui se referme. Plus la pause est longue, plus la gorgée reçue par le bébé est importante
- comment se comporte le bébé ? A-t-il l’air satisfait, repu après les tétées ?
- le bébé mouille-t-il suffisamment ses couches ? Un bébé devrait mouiller au moins cinq à six couches jetables abondamment. Une couche bien mouillée, c’est une couche dans laquelle on mettrait le poids d’un œuf. Il devrait y avoir également deux à trois selles abondantes et molles ou liquides par jour. Pour les enfants de plus de 4 à 6 semaines nourris exclusivement de lait maternel et qui vont bien par ailleurs, les selles peuvent être moins fréquentes
- la prise de poids : pendant les deux premiers mois, une petite fille allaitée prend environ 190 g/semaine (et 140 g en moyenne par semaine les deux mois suivants), quand un petit garçon allaité prend 230 g environ par semaine les deux premiers mois (et 150 g environ par semaine les deux mois suivants).
(1) Soutien à la relactation chez des mères égyptiennes, Breastfeeding Med, 2012.
(2) Facteurs spécifiques aux mères chez qui une relactation est envisagée, ABM News and Views, 2003.
(3) Induction d’une lactation chez la mère non biologique dans un couple lesbien, Walhert L, Fiester A, 2013.
(4) Essai contrôlé randomisé pour comparer les méthodes d’expression du lait après un accouchement prématuré. Jones E, Dimmock PW, Spencer SA, Arch Dis Child Fetal Neonatal, 2001.
(5) Dossiers de l’allaitement n° 117, “Quel tire-lait pour quelle mère”, décembre 2016.
(6) La relactation, connaissances acquises et recommandations relatives à cette pratique, OMS, 2000.
(7) An adoptive mother who became a human milk donor, JHL, 2017.
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