Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 18, LLLFrance, 1994
En 1991, j'eus la chance de participer à Miami à un congrès de La Leche League International. En trois jours, cent-vingt conférences furent proposées aux 1800 participants venus du monde entier. La première conférence à laquelle j'assistai était celle du Pr L.M. Gartner, de l'Université de Chicago, sur "Ictère et allaitement réussi". Ce numéro d'Allaiter aujourd'hui me donne l'occasion de partager avec vous ce qu'il nous a expliqué.
Qu'est-ce que l'ictère ?
L'ictère est le terme médical pour jaunisse. Si le nouveau-né devient jaune, c'est à cause d'un pigment qui se trouve dans son sang, la bilirubine. Ce pigment est un produit de dégradation de l'hémoglobine des globules rouges, qui en principe s'élimine grâce à l'action du foie qui le conjugue. La bilirubine peut alors être excrétée par les selles et les urines.
Après la naissance, le sang du nouveau-né se modifie en éliminant son hémoglobine foetale et une partie de ses globules rouges devenus trop nombreux et inadaptés à la vie "à l'air libre". Si le foie immature du nouveau-né est débordé par ce travail, un excès de bilirubine ne se fixe plus sous l'action du foie et ne peut être éliminé. Il circule alors librement dans le sang, donnant à environ 50 % des nouveau-nés un ictère ou jaunisse.
La prématurité, la limitation des apports caloriques ainsi que certaines maladies (infectieuses ou autres) augmentent ce phénomène et peuvent le rendre dangereux. L'excès de bilirubine libre non conjuguée risque alors de devenir toxique pour certaines cellules du cerveau, en particulier chez l'enfant malade ou prématuré. Il est possible d'intervenir préventivement pour éviter les complications graves dues à des taux toxiques.
On distingue différents types d'ictères :
- l'ictère "physiologique", ce qui sous-entend banal. Jamais présent à la naissance, l'ictère simple du nouveau-né à terme apparaît après un intervalle de temps variable (classiquement trente-six heures), atteint son maximum au 3ème/4ème jour, pour décroître ensuite rapidement et avoir disparu au 10ème jour. Le taux de bilirubine ne dépasse pas 100 à 130 mg/l (171 à 221 mol/l) ;
- les ictères pathologiques dont font partie les ictères par incompatibilité sanguine foeto-maternelle (entre autres les fameux problèmes rhésus), ou en cas de résorption d'un hématome, suite à une présentation par le siège ou à l'utilisation d'une ventouse à la naissance, les ictères d'origine infectieuse (par exemple une infection urinaire), les ictères prolongés dont fait partie l'ictère au lait de mère dont nous reparlerons plus loin.
- l'ictère pathologique apparaît en général dans les vingt-quatre premières heures, ce qui signe sa gravité, et il s'accompagne de signes cliniques, par exemple un gros foie.
Observer l'enfant
C'est en regardant l'enfant que l'on dépiste le plus souvent l'ictère. Il est nécessaire par exemple d'observer la couleur de l'enfant à la lumière du jour, et de voir quelles sont les parties du corps qui sont jaunes. L'élévation du taux de bilirubine sera confirmée par l'utilisation du bilirubinomètre transcutané, qui analyse la composition de la lumière réfléchie par la peau et les tissus sous-cutanés. Ce test est indolore. Lorsque l'index ictérique dépasse le seuil d'alerte, ou si la maternité ne dispose pas d'un bilirubinomètre, une prise de sang déterminera exactement la bilirubinémie.
Le Pr L.M. Gartner a, pour l'ictère du nouveau-né à terme allaité (ictère n'étant pas apparu dans les vingt-quatre premières heures), le classement suivant :
- l'ictère lié à l'allaitement
- l'ictère dû au lait maternel
L'ictère lié à l'allaitement
C'est une façon pour l'enfant de dire : "J'ai faim". Le manque de calories réduit en effet le nombre de selles, ce qui va augmenter la réabsorption au niveau de l'intestin de la bilirubine qui se trouve en quantité importante dans le méconium. Plus l'enfant reçoit vite et souvent du colostrum qui a un effet laxatif, plus il élimine rapidement son méconium, moins la bilirubine a le temps de repartir dans la circulation sanguine. Les études ont montré que le nombre de tétées par 24 h intervient dans la genèse de cet ictère : plus le nouveau-né recevra de tétées, moins le taux de bilirubine sera élevé. Dans une étude (de Carvalho, 1982), les chercheurs ont trouvé que les bébés qui étaient allaités au moins huit fois par 24 h avaient un taux de bilirubine de 30 mg/l de moins que ceux qui étaient allaités moins fréquemment.
Les compléments, qui interfèrent avec l'allaitement, augmentent aussi le taux de bilirubine. Il a été démontré que des biberons d'eau pure ou d'eau glucosée retardent l'élimination du méconium, détournent l'enfant du sein, d'où une moindre stimulation de la montée de lait, un risque de confusion sein/tétine, et donc un nombre plus élevé d'ictères néonataux.
Le Pr Gartner concluait en disant que le nombre de jaunisses et leur importance reflètent la politique d'une maternité en matière d'allaitement.
La meilleure prévention de l'ictère simple passe donc par des tétées précoces et fréquentes. La mère doit être encouragée à laisser le bébé bien boire au premier sein avant de lui offrir le deuxième. En ne limitant pas le temps que le bébé passe à chaque sein, la mère peut être assurée que le bébé recevra le lait gras de fin de tétée dont il a besoin. Ce lait riche en graisses et en calories est plus efficace pour stimuler les mouvements intestinaux, limitant ainsi la réabsorption de la bilirubine du méconium. Pour vérifier que l'enfant boit bien, les mouvements de déglutition sont un bon repère, ainsi que l'observation de l'élimination du méconium.
L'ictère dû au lait maternel
Il fait suite à l'ictère simple du nouveau-né ou apparaît après, vers le cinquième jour, pour culminer entre la deuxième et la quatrième semaine de vie. Il peut durer plusieurs semaines.
Cette forme d'ictère est rare (2,4 % des nouveau-nés allaités). L'anomalie du métabolisme de la bilirubine est associée à l'ingestion du lait maternel mature (mais pas du colostrum) de certaines mères, mais le mécanisme spécifique responsable n'a pas encore été identifié. Il n'y a que des hypothèses. Il y a une prédisposition familiale : un couple dont le premier bébé a présenté un tel ictère a environ une chance sur sept pour que ses autres enfants le présentent aussi.
L'enfant, qui a beaucoup bu de lait maternel, se porte bien. Cet ictère est bénin et ne laissera aucune séquelle.
Comme cet ictère disparaît lorsque l'on suspend l'allaitement 12 à 48 heures ou si l'on tire le lait maternel pour le chauffer à 56¡ pendant 15 mn avant de le refroidir pour le donner à l'enfant, c'est souvent ce qui est proposé à la mère pour en faire le diagnostic.
Faute d'informations sur la façon d'entretenir la lactation, ces deux attitudes entraînent souvent un tarissement progressif et rapide de la sécrétion lactée, qui rend incertaine la reprise de l'allaitement normal lorsque l'enfant est moins jaune.
Une autre option consiste à supplémenter l'enfant avec du lait maternel de donneuse ou du lait de substitution hypo-allergénique donné non pas au biberon (pour éviter une confusion sein/tétine) mais à l'aide d'un gobelet ou d'un DAL (dispositif auxiliaire de lactation). Cette solution est particulièrement adaptée aux enfants avec une succion faible, qui recevront plus de lait du DAL que du sein. L'ictère diminuera moins vite que si l'enfant était sevré temporairement, mais l'allaitement au sein continuera et la lactation sera entretenue.
Suspendre l'allaitement n'est donc pas acceptable dans un simple but diagnostique, car les ictères tardifs graves non liés à l'allaitement, peuvent être reconnus sans interrompre l'allaitement. Les mesures thérapeutiques précitées ne se justifient qu'en présence de taux de bilirubine très élevés. Dans ces rares cas, la photothérapie a aussi son indication.
Le Pr Odièvre, du Comité Médical Consultatif de LLLI, nous explique : "L'attitude pratique souhaitable est d'expliquer à la maman l'innocuité de l'ictère au lait de mère, le bénéfice que son bébé tire de l'allaitement maternel, et d'essayer ainsi d'obtenir la poursuite de l'allaitement. Ce n'est que dans de rares cas qu'il faut proposer des mesures transitoires".
La photothérapie, pourquoi, comment
Cependant, face à un ictère pathologique ou à un taux de bilirubine devenant rapidement toxique ou risquant de le devenir, l'enfant peut avoir besoin d'un autre traitement. L'exposition à la lumière peut être la première solution envisagée, car l'action de celle-ci s'est révélée bénéfique pour faire baisser le taux de bilirubine.
Ceci a été découvert grâce à une infirmière anglaise qui désobéissant à son chef de service, sortait en douce pendant un quart d'heure des prématurés ictériques dans le jardin de l'hôpital pour leur faire prendre le soleil. Les parties du corps exposées au soleil étaient ensuite beaucoup moins jaunes, ce que le médecin a fini par remarquer : la photothérapie était née.
Le nouveau-né ictérique tirera profit d'une exposition à la lumière du soleil, mais pas directement, derrière une vitre, pour éviter coups de soleil et insolations.
La lumière artificielle a les mêmes effets. On se sert souvent de la lumière bleue qui semble plus efficace. C'est un rayonnement bleu, et en aucune façon une émission d'ultra-violets. Avec un appareil classique de photothérapie, l'enfant est loin de la source lumineuse et il doit y être exposé plusieurs jours pour voir décroître la bilirubine. Il faut le mettre alternativement sur le dos et sur le ventre, pour que tout son corps soit touché par la lumière. Les nouveaux appareils où l'enfant repose nu sur un hamac transparent permettent qu'il soit exposé de très près sur l'ensemble de son corps, grâce à un réflecteur de lumière. La photothérapie est alors dite intensive et conduit en quatre heures à une chute spectaculaire de la bilirubine.
La photothérapie est souvent réalisée loin de la mère dans la maternité ou même en service pédiatrique hospitalier, alors que rien n'empêche de mettre l'appareil dans la chambre de la mère, après lui avoir expliqué le fonctionnement de l'incubateur, si celui-ci est nécessaire, et de l'appareil de photothérapie. Présente aux côtés de son nouveau-né, elle pourra s'assurer que la protection qui couvre les yeux de l'enfant ne glisse pas sur son nez. La protection des testicules chez le garçon paraît souhaitable, en veillant à ce qu'un maximum de surface cutanée demeure accessible aux rayons lumineux et donc que la couche soit la moins envahissante possible.
L'enfant ictérique est somnolent et a souvent une succion plus faible. La chaleur sèche, si l'enfant est placé en incubateur, augmente ses besoins alimentaires et le déshydrate. D'où l'intérêt de pouvoir l'observer pour lui proposer de courtes tétées dès qu'il en manifeste le besoin.
Aux Pays-Bas, s'inspirant de la méthode "kangourou" pour les prématurés, le Dr Gerd Eldering a mis au point un prototype de lit de photothérapie appelé le "bilarium". Les parents et le bébé peuvent y être installés ensemble sous "lampe bleue". Ainsi on ne trouble pas le processus d'attachement qui se déroule entre les parents et le bébé. Un contact ininterrompu diminue le stress chez ce dernier, et la guérison s'en trouve accélérée.
Aux USA, il est possible de louer un appareil pour effectuer la photothérapie chez soi. Pourquoi pas en France ? Ou si la mère est déjà sortie de la maternité, pourquoi ne pas proposer la photothérapie intensive (4 heures) en hôpital de jour ?
Une alternative à la photothérapie traditionnelle est constituée par l'unité de photothérapie Wallaby (ou bilibed). Il s'agit d'une couverture en fibre optique entourée autour du tronc du bébé qui se trouve ainsi en traitement continu. Cette méthode ne nécessite pas de bander les yeux du bébé (1), ni de le séparer de sa mère pendant le traitement, mais son efficacité est discutée par certains.
Grâce à la photothérapie, et surtout la photothérapie intensive, les exanguino-tranfusions sont devenues rarissimes. Ce traitement lourd qui n'est pas dénué de risques, consiste en une substitution plus ou moins complète du sang du bébé, permettant d'épurer une certaine quantité de bilirubine. Il était généralement réservé aux iso-immunisations rhésus.
Quelles conséquences ?
Les traitements classiques des ictères (sevrage + photothérapie) n'avaient pendant longtemps fait l'objet que de peu d'études, en-dehors de celles recherchant les effets sur le taux de bilirubine. Mais récemment des recherches sur leurs conséquences à long terme ont été conduites.
Les effets du sevrage temporaire sur l'allaitement sont loin d'être anodins : augmentation des problèmes d'allaitement, sevrage plus précoce. Quant aux effets psychologiques chez la mère de la séparation précoce d'avec son enfant, ils perdurent : l'enfant est considéré comme plus vulnérable, tout trouble de santé même mineur est considéré comme sérieux, d'où une augmentation des consultations médicales et des hospitalisations.
Or une étude portant sur un grand nombre d'enfants, publiée dans Pediatrics en juin 91, a montré qu'un taux modéré de bilirubine chez le nouveau-né à terme en bonne santé, ne pose pas de problème à l'âge de 6 ans. Par ailleurs des recherches récentes ont montré que la bilirubine peut être un anti-oxydant d'importance physiologique pour le nouveau-né.
Devant ces dernières recherches et sans vouloir minimiser l'importance d'un ictère chez un nouveau-né, on peut se poser la question, en l'absence de prématurité ou d'une autre pathologie, des risques de traitements tels que la photothérapie ou le sevrage temporaire par rapport à l'abstention.
Marie Courdent, en collaboration avec Marie-France Morinaux
(1) C'est quelque chose qui bouleverse souvent les mères. Cela ne renvoit-il pas inconsciemment à des images de mort ? Ce sont les condamnés à mort auxquels on bande les yeux... (Ndlr)
Bibliographie
Breastfeeding Answer Book, LLLI, 1991.
New Beginnings, LLLI, Jan-Feb 1993, p. 12.
New Beginnings, May-June 1992, p. 75.
LLLettre des Associés médicaux, n° 3, p. 13 ; n° 7, p. 18 ; n° 16, p. 17 ; Spécial études n° 2.
L'alimentation infantile, bases physiologiques, supplément au vol. 67 du Bulletin de l'OMS, 1989.
"L'ictère et ses conséquences sur l'allaitement", M. Odièvre, Médecine et enfance, mai 1987, p. 241.
Breastfeeding : a guide for the medical profession, R.A. Lawrence, 1989.
Breastfeeding and human lactation, J. Riordan et K. Auerbach, 1993.
"Diagnostic de l'ictère du nouveau-né", A. Sender, V. de Lachaux, Encycl. Med. Chir. Pédiatrie, 4002 R30 92 7p.
"Point de vue actuel sur la photothérapie", A. Sender, V. de Lachaux, Journal de pédiatrie et de puériculture, n° 8, 1990.
"Breastfeeding and human milk : their association with jaundice in the neonate", K.G. Auerbach et L.M. Gartner, Clin. perinatol., 14 : 89-107 (1987).
"Breastmilk jaundice : natural history, familial incidence and late neurodevelopmental outcome of the infant", Grunebaum et all, Eur J Pediatr, 1991 150 : 267-70.
Bilarium, cassette vidéo VHS, vendue par Stichting Lichaamstaal, Mediatheek, Holstraat 15, 6017 AC Thorn, Pays-Bas (350 florins).
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
Bonjour à tous même chose ma fille avait un ictère de 198 mol alors qu'elle avait 4 jours de naissance la photothérapie là aider beaucoup merci dieu pour cette jolie découverte
A vrai dire mon bebe est prématuré de 33 semaine Jai accoucher depuis Le dimanche 30 et hier quand chui partir je les vu avec les yeux bander j'ai eu vraiment peur et j'ai pleuré car je ne savais pas quesquil ce Passais avec cette lumière bleu La jai demander et le docteur ne ma rien dire Donc je voulais être inforné car ces hier îl as quitter La couveuse pour être à cet endroit. Donc je voulais plus d'information mon garçon me manque. J'avais été confronté à ce gens de situation ces ma 1ère grossesse
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