Chez certaines mères, le lait tiré prend, après un temps de réfrigération ou de congélation, une odeur et un goût différents, plutôt désagréables.
Le lait reste tout à fait correct d'un point de vue nutritionnel et certains bébés le boiront sans problème, tandis que d'autres le refuseront.
Pour éviter de se retrouver avec un stock de lait congelé inutilisable, il est donc prudent de faire au préalable le test sur un échantillon.
Si, au bout de quelques jours, l'odeur et le goût n'ont pas changé, pas de problème.
S'ils ont changé, voir si le bébé accepte le lait. Si oui, pas de problème non plus.
Si non, que faire ?
Voici plusieurs pistes à envisager, sachant que, pour l'instant, on n'a aucune certitude sur le sujet.
Lipases ?
On pensait jusque là que ce changement de goût et d'odeur était dû aux lipases du lait.
Du coup, on peut suggérer de prendre un autre échantillon de lait tiré et, juste après l’avoir tiré, de le chauffer à 50-60 degrés (à cette température, les liquides commencent à fumer et à frémir légèrement sur les bords) pendant quelques minutes, et de le refroidir rapidement avant de le congeler ou de le mettre au frigo. Ce chauffage permettrait de détruire les lipases responsables.
Si, au bout de quelques jours, le goût et l'odeur n'ont pas changé, c'est que c'est bon, et l'on pourra traiter de la même manière tous les tirages suivants destinés à être conservés.
Si, par contre, le goût et l'odeur ont changé en mal, il est inutile de chauffer et l'on pourra envisager le type de changements tels que décrits ci-dessous.
En effet, si le changement est dû à une oxydation chimique, le chauffer peut aggaver les choses, selon Nancy Mohrbacher, auteure et consultante IBCLC.
D'autant que, selon le protocole #8 de l'Academy of reatsfeeding Medicine Conservation du lait humain destiné à un usage domestique pour un bébé né à terme, " Chauffer le lait au-dessus de 40°C pour désactiver les lipases n'est pas indiqué dans la mesure où cela peut également détruire certains des composants immunologiques du lait humain (IIB)".
Oxydation chimique ?
Une autre explication au rancissement serait en effet la survenue d'une oxydation chimique. L'oxydation chimique est une réaction chimique impliquant un échange d'électrons entre des substances. Cela pourrait être dû à quelque chose de présent dans l'eau de boisson de la mère, comme des ions de cuivre ou de fer libres (atomes ou molécules chargés positivement ou négativement) ou à certaines graisses polyinsaturées dans son alimentation.
Nancy Mohrbacher suggère les changements suivants dans Why Is My Breast Milk Soapy? :
· Éviter de boire l'eau du robinet, passer à l'eau en bouteille pendant un moment.
· Arrêter de prendre des suppléments d'huile de poisson ou de graines de lin.
· Éviter les aliments comme les anchois qui contiennent des graisses rances.
· Éviter d’utiliser de l’eau du robinet lorsqu'on manipule son lait et ses récipients.
· Augmenter sa consommation d'antioxydants en prenant des suppléments de bêta-carotène et de vitamine E
Voir également cette source : "Le rancissement est dû à une oxydation chimique, pas à un processus microbien causé par une contamination bactérienne. Les AGPI (acides gras polyinsaturés) sont les composants les plus sujets à oxydation. Chauffer le lait augmente la vitesse de la réaction d'oxydation, mais elle continue à se produire durant la réfrigération et la congélation. Il n'y a pas de recherche sur ce sujet dans la littérature sur le lait humain, cependant, en se référant à la littérature laitière (voir les références plus bas), on pense qu'il peut y avoir un catalyseur dans le lait qui démarre la réaction, tel que l'apport en AGPI du régime alimentaire maternel, ou un contenu élevé en fer libre ou en ion cuivre. Consommer des graisses rances, comme les anchois, peut aussi démarrer la réaction oxydative en chaîne.
Changer le régime de la mère pour réduire les AGPI peut donc aider. Cela ne changera pas le contenu en gras du lait, juste le type de graisses.
Quelques changements à essayer :
- Vérifier le contenu en fer libre ou en cuivre de l'eau de boisson ou de lavage, si besoin changer de source d'eau.
- Réduire les suppléments qui augmentent le contenu en AGPI dans le régime alimentaire, tels que l'huile de poisson, les graines de lin, l'huile de lin.
- Réduire l'apport, ou l'exposition du lait exprimé au fer libre ou aux ions cuivre, y compris à l'eau ayant de hauts niveaux d'ions cuivre ou fer.
- Augmenter l'apport maternel en antioxydants tels que le béta-carotène et la vitamine E.
- Éviter de manger des anchois et d'autres aliments contenant des graisses rances.
Al-Mabruk RM, Beck NF, Dewhurst RJ, Effects of silage species and supplemental vitamin E on the oxidative stability of milk. J Dairy Sci 2004 ; 87(2) : 406-12.
Havemose MS, Weisbjerg MR, Bredie WL, Poulsen HD, Nielsen JH, Oxidative stability of milk influenced by fatty acids, antioxidants, and copper derived from feed, J Dairy Sci 2006 ; 89(6) : 1970-80."
Eats on Feets, un site communautaire de partage du lait maternel, indique que certaines mères ont découvert que l'utilisation d'eau distillée et de savon sans phosphate était utile pour empêcher le goût de changer. Cependant, d'autres parents ont constaté que cela ne faisait que prolonger la durée de conservation plutôt que résoudre le problème. Ajoutons que certaines mères n’ont trouvé aucun changement en modifiant leur régime alimentaire ou leur eau de boisson... (voir ICI)
Conditions de stockage ?
Voici les conclusions de l'étude de K. Vangnai et al., Oxidative stability of human breastmilk during freeze-storage (dans le numéro spécial de l'Italian Journal of Food Science, 2017, pages 120-125) :
"Suite aux résultats de notre étude, plusieurs recommandations pourraient être faites afin de réduire l'apparition d'un goût rance dans le lait stocké.
· garder le lait maternel au congélateur pendant le moins de temps possible, moins de 3 mois dans l'idéal
· utiliser le lait stocké selon le principe "premier entré / premier sorti"
· de préférence, décongeler le lait congelé à la température du réfrigérateur (4°C) ; le décongeler dans l'eau chaude (> 50°C) n'est pas recommandé
· stocker le lait dans un récipient ambré ou éviter que le lait soit exposé à la lumière pendant le temps de conservation au congélateur."
Lors de la conférence GOLD qu'elle a donnée en 2019 (“Funny tasting milk: the biochemistry and clinical applications of human milk oxidation vs. high lipase action”), Nicola Singletary, PhD MAT, IBCLC, a, en plus des suggestions ci-dessus, recommandé aux mères dont le lait rancit et pour lequel le chauffer pour inactiver les lipases n’est pas la solution de :
”· congeler immédiatement sans temps préalable au réfrigérateur,
· conserver le lait moins de 3 jours au réfrigérateur,
· et moins d’un mois au congélateur."
Extrait des Dossiers de l'allaitement n° 149, août 2019, page 8 : "De nombreuses mères tirent leur lait pour que leur bébé puisse le recevoir en leur absence, ou pour en donner à un lactarium. Diverses stratégies de traitement et de stockage du lait humain ont été évaluées. Dans l’idéal, elles ne devraient pas avoir d’impact négatif sur les caractéristiques sensorielles du lait, mais on a constaté que le stockage avait un impact sur l’odeur du lait. Si l’odeur du lait humain frais est très faible (Jiang ; Spitzer, 2 études), elle augmente pendant le stockage, avec apparition d’une odeur « rance », « de poisson », « métallique » (Spitzer, 3 études). L’analyse des molécules à l’origine de ce type d’odeurs permet de penser qu’elle est en partie due à la métabolisation des lipides et à la libération d’acides gras, qui est constatée même dans du lait congelé à – 19°C. Toutefois, cela ne semble guère avoir d’impact sur le niveau d’acceptation du lait maternel par l’enfant, même si l’âge de l’enfant peut avoir un impact important sur sa capacité d’acceptation d’une odeur jugée désagréable (Menella). Et une étude n’a constaté aucune différence dans les réponses comportementales et physiologiques de prématurés recevant du lait maternel frais ou qui avait été congelé (Hung), même si des variations un peu plus importantes du rythme cardiaque étaient constatées chez les enfants de > 36 semaines d’âge gestationnel qui recevaient le lait ayant été congelé. Une autre étude (Sandgruber) n’a pas constaté de différences dans le profil sensoriel aromatique du lait humain frais et après stockage à – 80° pendant 24 mois ; les taux des diverses molécules odorantes étaient également similaires dans les 2 catégories d’échantillons, sauf pour les taux de (E,E’)-2,4-décadiénal, de gamma-dodécalactone et de delta-décalactone (taux 1,5 à 2,3 fois plus élevés). Globalement, il semble qu’un stockage court à 4°C ou un stockage long à – 80°C n’ont pas d’impact ou un impact minime sur le profil aromatique du lait humain, mais ce n’est pas le cas d’un stockage plus long au réfrigérateur ou d’un stockage de > 2 mois à – 19°C, essentiellement en raison d’un processus d’oxydation des lipides, favorisé par le taux élevé d’acides gras insaturés dans le lait humain."
Voir aussi : DA 154 : Peut-on donner à un lactarium du lait maternel congelé refusé par l’enfant ? Une étude qui n'a pas trouvé l'origine du mauvais goût.
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