Les témoignages reçus pour le n° 95 d'Allaiter aujourd'hui contiennent presque tous les mêmes « ingrédients » :
– une mère qui sent, souvent dès le début, qu’il y a quelque chose qui cloche ;
– un frein parfois détecté dès la maternité, mais « ça ne se coupe pas », et de toute façon « ça n’a aucune incidence » ;
– des douleurs lors des tétées à la limite du supportable : beaucoup disent que si cela avait été leur premier allaitement, elles auraient sûrement très vite abandonné ; et on peut supposer qu’en effet, beaucoup de femmes dans cette situation abandonnent ;
– un bébé qui prend peu ou pas de poids ;
– une mère qui consulte une kyrielle de professionnels de santé, sans succès : soit on nie qu’il y ait un frein, soit on refuse de le couper, soit on affirme que cela n’a aucune conséquence sur l’allaitement ;
– une mère qui finit par trouver le professionnel de santé compétent qui va couper, avec comme conséquence une amélioration souvent immédiate de la succion, des douleurs, de la prise de poids…, et la découverte d’un « nouvel » allaitement.
Documentation LLL
Dossiers de l'allaitement
• DA n° 191 - Complications et erreurs de diagnostic associées à la freinotomie
• DA n° 175 - Callosités provoquées par les tétées sur les lèvres du nourrisson
• DA n° 174 - Complications majeures de la freinotomie : présentation de cas et analyse
• DA n° 157 - Complications de la freinotomie pour ankyloglossie
• DA n° 138 - Mieux connaître la biomécanique de la succion pour limiter les interventions inutiles chez les nourrissons allaités
• DA n° 125 - Réflexions de 3 consultantes en lactation sur l’ankyloglossie
• DA n° 125 - Controverse autour de la freinotomie
• DA n° 59 - Ankyloglossie : incidence, et impact sur l'allaitement
• DA n° 47 - Ankyloglossie : prévalence, évaluation, traitement
Allaiter aujourd'hui
• AA n° 95 - Freins de langue, freins de lèvres : des freins à l'allaitement
Feuillet du Dr Jack Newman
• Les freins de langue courts ou serrés engendrent-ils des problèmes d'allaitement ?
Autres documents
• Déclaration de principe de l’Academy of Breastfeeding Medicine sur l’ankyloglossie chez les dyades allaitantes, 2021.
• Sur le site de Co-naître, un article de Gisèle Gremmo-Féger. La saga des « freins buccaux restrictifs » chez l’enfant allaité. S’appuyer sur les connaissances scientifiques pour éviter des interventions inutiles.
• Sur le site Allaitement pour tous, le dossier Frein de langue, frein de lèvre, palais creux
• Sur le site d'IPA, une synthèse intéressante de deux rapports d'experts en 2020 : Freins restrictifs buccaux
• Section de freins de langues chez les nourrissons et les enfants : un collectif de professionnels de santé alerte sur des pratiques abusives. Communiqué de presse du 17 janvier 2021, à télécharger ci-dessous.
Vidéos
• Technique pour libérer le frein de langue (extrait du feuillet Newman)
• Allaitement et traitement des freins buccaux, interview du Dr Martin Kaplan pour "Allaitement pour tous" (en anglais, sous-titres français)
Témoignage
Laureline : Dès les premiers jours de vie d’Ysalia, j’avais remarqué quelque chose de bizarre dans sa façon de téter. Je trouvais qu’elle pinçait, et j’ai vite eu des crevasses. Je voyais un beau fil sous sa langue, que je trouvais très peu mobile. Elle claquait beaucoup la langue, avait du mal à s’accrocher et à rester accrochée, avalait énormément d’air... Elle avait 2 semaines quand nous avons consulté une pédiatre formée en allaitement, qui a jugé nécessaire de sectionner son frein de langue. L’intervention a été très rapide (quelques secondes) et absolument indolore. Ysalia était emmaillotée dans son écharpe de portage, je l’ai tenue, la pédiatre a placé deux doigts sous sa langue, de chaque côté du frein, et avec une paire de petits ciseaux stériles, elle a coupé le petit filet blanc non innervé. Il y a eu un peu de sang, hop une compresse, dans les bras de maman, hop tétée au sein. Et là... miracle ! Pour la toute première fois en quinze jours, je vivais une tétée sans aucun inconfort ! La sensation d’une tétée fluide, agréable, facile, bref, comme elles devraient être ! Les saignements sont finis, les pleurs n’ont duré que le temps où elle a été tenue.
Nous rentrons chez nous. Quelques jours plus tard, une séance d’ostéopathie est prévue pour rééquilibrer tout ça. Les jours suivants, je constate une réelle amélioration au niveau des tétées, mais je continue de m’interroger. Elle est souvent énervée au sein, désorganisée, sans arriver à s’accrocher ; sa langue claque encore beaucoup, elle avale toujours pas mal d’air, et est donc gênée par de nombreux rots à chaque tétée ; elle fait beaucoup de fausses routes ; parfois, je vois du lait couler par la commissure de ses lèvres quand elle tète ; et il arrive que mon mamelon ressorte de sa bouche avec une forme pincée... Je continue de trouver sa langue très peu mobile. Par exemple, elle ne la sort pas plus loin que ses gencives ou sa lèvre inférieure, ne la lève jamais ; c’est comme si elle voulait mais n’y arrivait pas : sa langue commence à sortir, et puis s’enroule vers l’arrière, comme retenue... De plus, Ysalia a toujours cette petite cloque sur la lèvre supérieure, due à un effort trop important pour téter.
J’étais assez perdue : j’avais oublié tellement de choses depuis mon premier allaitement ! Allaiter un grand bébé puis un bambin n’a rien à voir avec l’allaitement d’un nouveau-né, car, finalement, le bébé qui grandit et devient expert en tétées laisse vite oublier les sensations d’un tout-petit, de la mise en route, qu’est-ce qui est normal et qu’est-ce qui ne l’est pas, dans quelle mesure le bébé a besoin d’aide pour prendre le sein parce qu’il est petit, et dans quelle mesure on sort de la "normalité" ? La puéricultrice passe pour la pesée. Je suis abasourdie : Ysalia, qui avait pris tellement d’avance en termes de poids les deux premières semaines, est tout juste dans la moyenne à 5 semaines. Je tente tout ce qui est possible pour booster ma lactation et le transfert de lait, dans l’espoir incongru de retrouver l’abondance des premiers temps, où elle n’avait qu’à avaler ce qui coulait tout seul... Mais sa courbe de poids continue de chuter et, de mon côté, à trop booster, j’enchaîne deux mastites. Je suis dans l’impasse... Je me renseigne alors de plus en plus sur les freins buccaux, notamment sur le site "Allaitement Pour Tous, et après une âpre lutte intérieure, je finis par admettre l’évidence : son frein a été insuffisamment coupé. J’obtiens rapidement un rendez-vous chez une pédo-dentiste parisienne qui opère au laser (moins de saignements, moins d’œdème, cautérise et stérilise en même temps). Ysalia a 2 mois. Lors de la première freinotomie, seul le petit filet antérieur avait été coupé. Or le frein d’Ysalia avait une attache postérieure sous-muqueuse de type 4 : court, épais, serré, profond. Les freins de lèvres avaient aussi besoin d’être coupés.
Cette deuxième intervention a été traumatisante. La douleur d’Ysalia n’a bénéficié d’aucune prise en charge, tant pendant qu’après l’opération. Et nous n’avons reçu aucune information de la part du médecin sur les suites. J’en garde encore beaucoup de colère, car beaucoup de difficultés auraient pu être évitées ou mieux vécues. Ysalia n’a pas pu téter pendant douze heures après l’opération, malgré sa faim et son besoin de se rassurer au sein. Et elle refusait le lait que j’essayais de lui donner autrement. Les jours suivants ont également été très difficiles. Elle avait mal à la langue, ne savait pas s’en servir, et avait de plus emmagasiné d’énormes tensions musculaires dans tout le haut du corps, qui lui rendaient certaines positions de tétée impossibles (retour chez l’ostéopathe). Un quotidien très chaotique pour tous. Une semaine après l’intervention, lors d’une visite médicale, je vois sur la balance qu’elle n’a pas pris de poids depuis dix jours. C’est la douche froide ! Même si je trouvais qu’elle ne tétait pas plus longtemps qu’avant, sa succion s’était nettement améliorée, alors, bêtement, je m’étais dit qu’elle était peut-être plus efficace au sein, obtenait plus de lait en autant de temps... En réalité, la douleur, que je n’ai pas prise à sa juste mesure, l’avait laissée quelques jours en état de choc, incapable de tirer profit des nouvelles fonctionnalités de sa langue ! Pendant ce temps-là, ma lactation avait diminué sans que je m’en rende compte. Panique à bord ! J’ai affamé mon enfant ! Je commande un tire-lait chez un loueur, cherche des sondes pour fabriquer un DAL... Une amie animatrice me les apporte. Mais, beaucoup plus précieux que ces petits tuyaux, elle vient avec sa grande expérience, son bon sens, sa douceur, ses encouragements, sa confiance en Ysalia et moi... Une baisse de lait ? Et alors ? Ça va très vite rentrer dans l’ordre ! Chaque jour qui passe depuis l’intervention est un pas de plus vers un allaitement serein. Ysalia va se remettre, elle VA apprendre à téter, c’est une certitude ! Quel baume sur mon cœur de maman en miettes ! Car j’étais arrivée à en douter, à regretter cette intervention qui n’avait apporté que du malheur...
Je me laisse donc quelques jours avant de recourir au DAL et, finalement, je n’en aurai pas besoin ! Peu à peu, patience et longueur de temps, les choses commencent à se tasser. Et quelques jours plus tard, elle commence enfin à bien téter ! Elle ne se décroche plus du sein en cours de tétée, ou bien arrive à le reprendre d’elle-même, ce dont elle était incapable auparavant. Elle ne claque plus, avale beaucoup moins d’air, a beaucoup moins de rots et beaucoup moins le hoquet. Elle n’avait jamais tété bien comme ça ! Et quand elle s’approche du sein, je vois parfois sa petite langue en gouttière, qui s’avance pour se placer en dessous, ce qui lui était absolument impossible avant. Sa douleur s’estompe, et son poids regrimpe. Ma championne, mon bébé- soleil ! Et surtout, j’ai enfin l’impression de commencer un allaitement normal avec elle ! Elle a 3 mois et demi, soit six semaines de galère après l’opération.
J’étais très loin de m’attendre à ce parcours sinueux avant d’atteindre le Graal des tétées et de voir la courbe de poids de ma fille repartir sur la bonne pente. Oui, Ysalia a pu être opérée, mais dans quelles conditions ?! En l’absence d’informations (dans l’urgence, je n’ai pas eu le temps de relire le AA sur le sujet, ni de creuser davantage d’aucune façon), je m’étais fiée à la première intervention, qui m’avait presque semblé une formalité, et à ce que m’avaient dit la secrétaire et le médecin, c’est-à-dire quasiment rien ! Sous-entendu, il n’y a rien à savoir... Or, quand on touche en profondeur à un organe aussi important et sensible que la langue chez un bébé, ça ne peut pas être anodin. Suite à une intervention sur ce type de frein, le réapprentissage de la succion peut être long, la douleur ressentie pendant longtemps (presque quinze jours dans son cas) ; l’allaitement est resté compliqué pendant cinq à six semaines : la formation du palais (qui n’avait pas pu se faire in utero) et le rééquilibrage des structures osseuses ne se font pas en quelques jours ni en quelques semaines ; la déglutition me semble la fonction qui a mis le plus de temps à se réguler ; j’ai eu une baisse de lactation que je n’ai pas tout de suite identifiée, alors que j’aurais pu l’anticiper et la prévenir, etc. Durant tout ce temps, Ysalia était complètement insécurisée, perturbée dans ses rythmes, dans son sommeil, dans sa façon d’être... Quant à moi, j’étais hyper inquiète, stressée, épuisée, pleine de tensions musculaires et nerveuses, émotionnellement et psychiquement à cran, focalisée plusieurs semaines durant sur sa succion et sa prise de poids. L’équilibre de la famille entière était bouleversé, la grande sœur laissée pour compte...
Ysalia a gardé ensuite de nombreux mois divers troubles de l’oralité : hypersensibilité douloureuse entraînant plusieurs grèves de tétée, notamment au moment des poussées dentaires ; refus qu’on approche quelque chose de sa bouche ; réflexe nauséeux très prononcé : elle s’est longtemps étranglée avec le sein en bouche, avec sa propre langue... Nous avons vainement attendu un rendez-vous d’orthophoniste dans le public. Et puis, finalement, tout est passé doucement avec le temps, ma douce chérie a fini par devenir aussi experte en tétées que n’importe quel bébé ! Et côté poids, elle s’est amplement rattrapée par la suite !
Pour autant, l’intervention en elle-même était absolument nécessaire. Si ça n’avait pas été fait tout de suite, il aurait quand même fallu y recourir plus tard, au moment de l’alimentation solide, ou de l’apprentissage du langage par exemple. Agir au plus tôt aura permis de préserver l’allaitement, et à son développement global de repartir du bon pied plus rapidement. Mais nous manquons encore tellement de recul sur ce sujet ! Voici un petit mix de ce qui nous a, ou nous aurait, le plus aidés :
– un vrai temps de dialogue et d’information avant l’opération, tant sur son déroulement que sur les suites ; ne pas cacher qu’il peut se passer longtemps avant de goûter pleinement aux bienfaits de l’opération, et ne pas (trop) s’en inquiéter non plus ; ne pas nier la douleur que peut ressentir le bébé (ce qui a été le cas !) ; informations nécessaires à la prévention des difficultés d’allaitement ;
– antalgiques +++ avant ET après, sur plusieurs jours et non juste un ou deux ; en suppos et non en sirop (Ysalia le crachait ou le vomissait) ;
– soutien +++++ (LLL et/ ou consultante en lactation) car, selon la profondeur du frein et donc de l’intervention, les heures, jours, voire semaines suivantes, peuvent être une véritable épreuve ; savoir qu’il faudra peut-être complémenter le bébé s’il n’arrive plus à s’alimenter, et également entretenir la lactation, et donc prévoir à l’avance le matériel (ou avoir les infos et adresses sous le coude) ; ne pas être seule !
– ostéopathie pour corriger les tensions initiales liées aux freins trop courts, celles liées à l’intervention en elle-même, au fait que le bébé soit maintenu, à la rééducation de la succion, à toutes les modifications apportées à l’équilibre global de la tête, la face, la mâchoire, le haut du corps, et également le trauma émotionnel...
– microkiné, homéopathie, Rescue... Et glaçons de lait maternel ;-)
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